Nous sommes tous différents les uns des autres
Non, pas moi !
Monty Python, La vie de Brian.
La citation extraite de La vie de Brian nous présente une situation paradoxale : comment un individu dans une assemblée peut-il ne pas être différent de tous les autres qui eux le sont ? L’extrait des Monty Python nous révèle à la fois un absurde comique, et un troublant manque de symétrie.
Car si l’on inverse la situation, la citation devient :
Nous sommes tous les mêmes
Non, pas moi !
et n’a plus rien de paradoxal. On est passé de l’humour britannique au culte du héros hollywoodien : il n’y a aucune difficulté, dans notre culture classique à imaginer un être différent de tous les autres, eux-mêmes égaux entre eux. Mais un être qui n’est pas différent de tous les autres qui le sont entre eux, seule la Mécanique Quantique peut le faire.
Les bosons aiment bien être tous dans le même état, les fermions ne le supportent pas. La situation du film des Monty Python est bien celle d’un boson plongé dans une assemblée de fermions. Cette dualité identitaire s’observe facilement dans le monde quantique, et est même primordiale. Il est en effet probable que la matière qui nous entoure ne serait pas stable si elle était constituée de bosons. Mais ce qui est tout à fait remarquable est qu’une propriété intrinsèque de particules, leur spin, gouverne ce comportement collectif.
La Mécanique Quantique, dans son besoin généreux de rétablir les symétries, plonge dans la réalité de la même façon l’humour britannique et Hollywood.
Mais si elle décerne ainsi des identités que le monde classique trouve extravagantes, elle n’en refuse pas moins une identité élémentaire aux particules dans un état intriqué, c’est-à-dire non factorisable. Ce phénomène d’intrication, que la Mécanique Quantique crée à loisir dès qu’il y a interaction, peut cependant être brisé à tout instant par l’opération de mesure qui rétablit...
La comparaison entre la physique classique et la mécanique quantique est intéressante pour une réflexion sur les catégories parce qu’à partir du milieu des années 1920, c’est-à-dire au moment où la mécanique quantique est élaborée, la nécessité de changements conceptuels importants est apparue de façon claire, aux yeux des physiciens d’abord, puis de tous ceux qui réfléchissaient sur la science : cette nouvelle théorie était trop différente de la mécanique classique ou de l’électromagnétisme du XIXe siècle pour qu’on puisse faire l’économie d’un profond remaniement de la grille conceptuelle utilisée jusqu’alors pour construire les théories physiques.
Comme nous allons essayer de le montrer ici, il n’était pas question de remanier à la marge les outils conceptuels, mais bien de rompre avec les concepts les plus généraux (et donc les plus usuels) qui structuraient la physique classique. C’est pour cette première raison qu’il nous semble légitime, à propos du passage de la physique classique à la mécanique quantique, de parler de changement de catégorie. Les catégories seront pour nous des concepts à la fois fondamentaux, au sens où ils sont les premiers éléments dans l’élaboration conceptuelle des théories, et larges, au sens où, pour construire les théories physiques, il faut aussi subdiviser de tels concepts en différentes sous-catégories ayant un sens physique. Bien sûr, en tant que catégories physiques, les catégories dont nous parlerons ici n’ont pas de raison d’être considérées uniquement comme de purs outils de pensée, sans lien avec une - supposée - réalité physique indépendante du sujet connaissant. Toutefois, il n’est pas besoin pour nous de prendre parti dans ce débat et de déterminer si les catégories expriment l’ordre inhérent au monde physique, ou bien si elles ne représentent que nos façons de penser. Les catégories physiques sont pour nous simplement les outils les plus...
Le mot « noncommutatif » aura certainement été l’un des plus représentatifs de la fécondité des mathématiques au XXième siècle.
Si la dichotomie commutatif/noncommutatif est présente au XIXième siècle, dés l’avènement de la théorie des groupes, ce que l’on appelle de nos jours les mathématiques non commutatives ont pris tout leur essor après que la nouvelle mécanique adaptée au monde à l’échelle atomique ait vu le jour. La Mécanique Quantique a dessiné une ontologie du non commutatif en mathématique, tout comme elle a créé un nouveau paradigme physique pour notre perception du monde.
D’un point de vue philosophique il est étrange que la négation d’un concept, d’une formule, devienne aussi positivement ancrée dans un aspect conceptuel presque universel : en principe, puisque le « commutatif » est un, le non commutatif devrait être multiple. Or on parle souvent du commutatif et du non commutatif, comme s’il n’y avait qu’une seule occurrence de ce dernier. Cela traduit, il me semble, le changement de paradigme profond que représente l’abandon, dans une théorie physique ou domaine des mathématiques le postulat .
Faut-il voir ou bien comme une contrainte ?
D’autre part, si deux matrices données et commutent ou bien ne commutent pas entre elles, il s’avère qu’il existe des familles de matrices qui commutent presque, offrant ainsi la possibilité d’une transition du non commutatif vers le commutatif. Cette transition est difficile et offre une richesse extrême, trace selon nous de la profondeur du changement paradigmatique entre le commutatif et le non commutatif. Nous allons essayer d’en donner quelques exemples.
Nous avons tous appris à l’école que nous vivons dans un espace euclidien constitué de points matériels formant les trajectoires des corps matériels en mouvement qui nous entourent.
Nous avons aussi appris que si la lune suit les trajectoires que nous observons c’est...
« ...Non so più cosa son, cosa faccio... »
Da Ponte
L’intrication est à la mode. Décrite comme source de problèmes incontournables dans les années 30 lors des débats conceptuels sur la nouvelle mécanique, elle est de nos jours activement recherchée comme moteur fondamental de l’informatique quantique.
Quantum computing wants entanglement
Car la Mécanique Quantique sans intrication, c’est comme un baiser sans moustache, comme on disait dans les opérettes de ces mêmes années 30.
La propriété d’intrication de l’état d’un système quantique « formé » de deux particules interdit que l’on puisse parler d’un sous-système formé de l’un d’entre elles. Dans un état intriqué, non seulement les deux particules n’existent pas indépendamment, mais encore chacune contient le reflet de l’autre : 2particules ne sont pas deux particules.
Mais il est un autre sujet concernant la Mécanique Quantique que l’on peut, il me semble, rapprocher de l’intrication : c’est son rapport à la Mécanique Classique.
Les deux nouvelles mécaniques qui voient le jour à l’aube du XXIème siècle, et qui vont permettre de dépasser les deux écueils de la mécanique classique que sont l’interaction à distance et la structure microscopique de l’espace, sont deux évolutions épistémologiquement fort différentes quant au changement de paradigme qu’elles offrent à leurs prédécesseurs. La Relativité ne fait « que » déformer la structure de la cinématique classique mais, en revanche, présente du jamais vu quant aux aspects dynamiques : le tenseur d’énergie-impulsion ne trouve aucune racine dans le monde pré-relativiste.
En ce qui concerne la Mécanique Quantique la situation est en quelque sorte inversée. Le changement paradigmatique lié à la cinématique est immense : on passe d’un espace géométrique inerte à un espace de Hilbert d’états quantiques, du commutatif au non commutatif. En revanche la plupart des hamiltoniens quantiques sont obtenus à...