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Fermions/Bosons-intrication-mesure : particules vos papiers - Numéros - Logique et Interaction : vers une Géométrie de la Cognition - Influxus
explorations - nouveaux objets - croisements des sciences

L'auteur

Thierry Paul

CNRS et CMLS, Ecole polytechnique.

Page auteur

paul [chez] math.polytechnique.fr

Référence

Thierry Paul, « Fermions/Bosons-intrication-mesure :
particules vos papiers », Influxus, [En ligne], mis en ligne le 26 novembre 2012. URL : http://www.influxus.eu/article494.html - Consulté le 26 août 2023.

Fermions/Bosons-intrication-mesure :
particules vos papiers

par Thierry Paul

Résumé

Nous étudions les incidences de l'idée d'identité dans quelques domaines de la Mécanique Quantique. Nous montrons que cette dernière a la faculté bien particulière de mouvoir, superposer et enfin d'introspecter la notion même d'identité.

Abstract

We study the incidence of the idea of identity in some domains of Quantum Mechanics. We show how the latter possesses the particular ability of moving, superposing and finally introspecting the notion of identity itself.

- Nous sommes tous différents les uns des autres
- Non, pas moi !
Monty Python, La vie de Brian.

Introduction

La citation extraite de La vie de Brian nous présente une situation paradoxale : comment un individu dans une assemblée peut-il ne pas être différent de tous les autres qui eux le sont ? L’extrait des Monty Python nous révèle à la fois un absurde comique, et un troublant manque de symétrie.
Car si l’on inverse la situation, la citation devient :

- Nous sommes tous les mêmes
- Non, pas moi !

et n’a plus rien de paradoxal. On est passé de l’humour britannique au culte du héros hollywoodien : il n’y a aucune difficulté, dans notre culture classique à imaginer un être différent de tous les autres, eux-mêmes égaux entre eux. Mais un être qui n’est pas différent de tous les autres qui le sont entre eux, seule la Mécanique Quantique peut le faire.
Les bosons aiment bien être tous dans le même état, les fermions ne le supportent pas. La situation du film des Monty Python est bien celle d’un boson plongé dans une assemblée de fermions. Cette dualité identitaire s’observe facilement dans le monde quantique, et est même primordiale. Il est en effet probable que la matière qui nous entoure ne serait pas stable si elle était constituée de bosons. Mais ce qui est tout à fait remarquable est qu’une propriété intrinsèque de particules, leur spin, gouverne ce comportement collectif.
La Mécanique Quantique, dans son besoin généreux de rétablir les symétries, plonge dans la réalité de la même façon l’humour britannique et Hollywood.
Mais si elle décerne ainsi des identités que le monde classique trouve extravagantes, elle n’en refuse pas moins une identité élémentaire aux particules dans un état intriqué, c’est-à-dire non factorisable. Ce phénomène d’intrication, que la Mécanique Quantique crée à loisir dès qu’il y a interaction, peut cependant être brisé à tout instant par l’opération de mesure qui rétablit l’ordre (?) en projetant vers des états factorisés. L’interaction tricote de l’intrication que la mesure détricote. Il apparaît donc ainsi en Mécanique Quantique une question relative à l’identité ... de l’identité elle-même.
Peut-on, faut-il (Mu\beta es sein ?) décider l’identité ? Non pas laquelle, mais son existence. Doit-on parler de décomposition d’un système en « parties » alors que la possibilité d’une telle décomposition dépend de l’état quantique de ce dernier ? Nous essaierons de donner quelques éléments de réponse dans la dernière section de cet article.

1.Bosons/Fermions

1.1 Indiscernabilité

La notion de « particules identiques » est cruciale en physique classique, et a donné lieu à l’un des plus grands triomphes de la science de tous les temps : la théorie cinétique des gaz.
On imagine facilement que, dans un litre de gaz, se trouvent beaucoup de particules, en mouvement si compliqué que l’on n’oserait pas le décrire. Pour cela d’ailleurs il faudrait les distinguer, les colorier afin de les suivre dans leurs trajectoires.
Citons le tout début du livre de Jean Perrin (1913) « Les atomes »,
Il y a vingt-cinq siècle peut-être, sur les bords de la mer divine, où le chant des aèdes venait à peine de s’éteindre, quelques philosophes enseignaient déjà que la Matière changeante est faite de grains indestructibles en mouvement incessant, Atomes que le Hasard ou le Destin auraient groupés au cours des âges selon les formes ou les corps qui nous sont familiers.
Une môle de gaz est donc une, puisque constituée de particules toutes les mêmes, puisqu’elle ne change pas, qu’elle reste exactement la même lorsque l’on permute deux quelconques des particules la constituant. Une môle de gaz est donc une classe d’équivalence, c’est là son identité.
En fait il semble bien difficile d’imaginer ce qui pourrait changer lors de la permutation de deux particules classiques : nous allons voir que l’apparition de la fonction d’onde quantique va ouvrir un nouveau champ des possibles dans ce domaine.

1.2 Statistiques de particules quantiques

Un système de deux particules quantiques est représenté par une fonction d’onde à valeur complexe des deux variables de position de chacune des particules. Lorsque l’on a affaire à des fermions, cette fonction d’onde change de signe lorsque l’on permute les deux positions. Dans le cas des bosons elle reste inchangée. Autrement dit :

- pour deux fermions : \psi_F(x_2,x_1)=\color{red}{-}\color{black}\psi_F(x_1,x_2)
- pour deux bosons : \psi_B(x_2,x_1)=\color{red}{+}\color{black}\psi_B(x_1,x_2)

On déduit facilement de cela que

- pour deux fermions : \psi_F(x,x)=0
- pour deux bosons : \psi_B(x,x)\neq 0

Donc, par l’interprétation probabiliste de la fonction d’onde, la probabilité pour que deux fermions soient à la même place est nulle, alors que deux bosons peuvent avoir une chance non nulle d’être au même endroit.
Cette dichotomie entre fermions et bosons a des conséquences immenses en physique : le fait que les fermions se repoussent assure la stabilité de la matière, et les condensats de Bose-Einstein seront peut-être bientôt à la base de réussites technologiques inimaginables : nous les aurons peut-être dans les puces de nos cartes.
Mais une autre question doit être évoquée à cet endroit : les différentes statistiques quantiques se réalisent-elles uniquement dans leur champ propre ? Autrement dit les fermions ont-ils besoin d’être à plusieurs pour se savoir fermions ? Les bosons ont-ils besoin de se voir se condenser pour découvrir leur identité ? Autrement dit encore : peut-on parler d’UN fermion, d’UN boson ?
La réponse est positive et d’une grande subtilité.

1.3 Spin et statistiques

Le spin est un degré de liberté des particules quantique sans pendant classique. C’est une propriété d’un système qui peut prendre des valeurs entières et demi-entières.
C’est donc une observable quantique, qui peut subir le processus de la mesure et qui crée de l’interaction entre particules et champs magnétiques.
Mais le spin a, de façon tout à fait inattendue, un lien très direct avec la discussion précédente : c’est là le contenu du Théorème « Spin-Statistiques ».

Théorème 2.1 (Théorème spin-statistique).\space On \space a


\eqalign
{
spin \in \{\frac 1 2,\frac 3 2,\frac 52\dots\} \quad &\Longleftrightarrow \quad antisymétrie \space de \space \psi \space par \space permutation \newline
spin \in  \{1,2,3,\dots\} \quad &\Longleftrightarrow \quad \hphantom{anti} symétrie \space de \space \psi \space par \space permutation
}

Ce théorème est un véritable miracle si l’on pense qu’il relie des propriétés collectives à des paramètres intrinsèques de chaque particule. Ainsi donc un fermion tout seul est fermion parce que son spin est demi-entier. Il lui suffit de connaître son spin pour dicter sa conduite envers les particules qui l’entourent...
Remarquons cette autre particularité : ce Théorème, valable en Mécanique Quantique ordinaire, se démontre que dans le cadre de la Théorie Quantique des Champs, et seulement, jusqu’à présent, dans cette dernière.
En guise de conclusion disons que, pour ce qui est de la dualité fermions/bosons, l’identité est vue du dehors extrinsèque, mais est conduite par des interactions intrinsèques

2. Intrication

Avec l’intrication nous touchons le cœur même de la Mécanique Quantique. Et de la discussion sur l’identité dans le cadre de cette dernière. La possibilité d’intrication est un formidable moteur pour la perte d’identité particulaire, puisque un système de deux particules dans un état intriqué ne se découvre pas en deux parties correspondant aux deux particules initiales. La mesure quantique est là pour nous ramener à la raison classique en projetant un état intriqué sur l’un de ses termes factorisés.
Mais l’intrication est devenue tellement indispensable de nos jours, à la fois pour créer des interactions indispensables en calcul quantique, mais aussi parce que nous nous y sommes habitués, qu’elle nous semble tout à fait naturelle. Et c’est dans une sorte activité de critique de la raison classique que l’on a envie de se demander si, finalement, le processus de mesure ne constitue pas au contraire une perte d’identité, identité de l’état intriqué justement. Cette idée, au fond, semble assez bien satisfaire ce postulat de symétrie cher à la Mécanique Quantique que nous avons vu dans la section précédente.
Pour faire de l’intrication il faut deux espaces vectoriels \mathcal H_1 et \mathcal H_2 et leur produit tensoriel \mathcal H_1 \otimes \mathcal H_2, espace vectoriel des combinaisons linéaires des produits de deux vecteurs, l’un dans \mathcal H_1, l’autre dans \mathcal H_2. Un état intriqué est un état dans \mathcal H_1 \otimes \mathcal H_2 qui ne se factorise pas, c’est-à-dire qui ne s’écrit pas \varphi_1 \otimes \varphi_2 pour \varphi_i \in \mathcal H_i. Par exemple l’état

\varphi \otimes \psi + \psi \otimes \varphi


pour \varphi \perp \psi est intriqué.
Remarquons que l’intrication est fondamentalement liée à l’idée de produit tensoriel, et que celui-ci est une pierre de touche de la théorie quantique à travers son aspect linéaire : si nous multiplions entre eux les états de deux particules lorsque nous rapprochons ces dernières, l’espace total des états doit être un espace vectoriel, et doit donc contenir toutes les combinaisons linéaires d’états produits.
Pourquoi perdons-nous de l’identité lorsque nous intriquons ? Pour répondre à cette question, nous devons penser que l’identité se présente au travers de l’idée de propriété, ou plutôt de celle de valeur d’une propriété (je ne parle pas ici, on l’aura compris, du marché de l’immobilier). L’identité au sens classique passe par l’unicité de la valeur d’une propriété donnée. Dire d’une balle qu’elle est rouge signifie que si on regarde sa couleur on voit du rouge, et seulement du rouge. Il n’est pas nécessaire en revanche, que l’on voit toujours du rouge ; le feu peut passer du rouge au vert par l’action d’une minuterie, il n’en reste pas moins, au sens de la physique classique, un feu de circulation (bien que ... voir[5]).
Or, dans l’état intriqué considéré plus haut, si \varphi_1^1 correspond à la valeur 1 d’une mesure sur la particule 1 et \varphi_1^2 correspond à la valeur 2 de la même mesure l’état \varphi_1^1 \otimes \varphi_2^2 + \varphi_1^2 \otimes \varphi^1_2 ne correspond à aucune des deux valeurs, puisque la mesure quantique va tout d’abord projeter \varphi_1^1 \otimes \varphi_2^2 + \varphi_1^2 \otimes \varphi^1_2 sur \varphi_1^1 \otimes \varphi_2^2 ou sur \varphi_1^2 \otimes \varphi^1_2 aléatoirement. On a donc bien, lors de l’intrication, perdu l’identité des deux particules, que l’on recouvre en effectuant une mesure.
Mais inversement, peut-on dire que l’intrication est une identité. Y a-t-il une identité de l’intrication ?
Poser cette question revient à se demander, suivant notre schéma précédent énoncé, si on peut dégager une propriété qui prend une valeur particulière sur les états intriqués. Dans [6] nous avons étudié la possibilité de détecter l’intrication par la mesure, en vue de se demander si l’intrication fait apparaître, émerger, des propriétés non réductibles aux parties ? Et nous avons étudié la possibilité d’écrire cette question dans le paradigme quantique.
Autrement dit nous avons abordé dans le strict formalisme quantique la question de savoir s’il y a émergence en Mécanique Quantique au travers de l’intrication. La réponse à cette dernière question est négative.
Mais la construction qui permet de répondre à cette question me semble faire émerger l’idée qu’il y a une propriété « intrication », propriété au sens large, puisque nécessitant d’effectuer plusieurs mesures.
Pour conclure cette section disons qu’en Mécanique Quantique nous voyons apparaître l’idée d’une identité intrinsèque et indéterminisme réalisée par la mesure.

3. La décohérence ou le mélange des identités

En Mécanique Quantique élémentaire on considère habituellement des états qui sont des vecteurs normés dans un espace de Hilbert. Ces états sont dits purs, en opposition aux états mixtes, représentés par des matrices densités, opérateurs positifs de trace égale à l’unité. Un état pur est aussi canoniquement représenté par un opérateur positif de trace 1 : le projecteur orthogonal sur lui-même.

\psi\to\left(\begin{array}{cc}a_0&b_0\\c_0&d_0\end{array}\right)_P \mbox{ projecteur de rang } 1, c’est-à-dire

\left(\begin{array}{cc}a_0&b_0\\c_0&d_0\end{array}\right)_P
\left(\begin{array}{cc}a_0&b_0\\c_0&d_0\end{array}\right)_P
=
\left(\begin{array}{cc}a_0&b_0\\c_0&d_0\end{array}\right)_P
\mbox{, Trace }
\left(\begin{array}{cc}a_0&b_0\\c_0&d_0\end{array}\right)_P 
= 1

Mais de telles matrices densité sont très spéciales, et ne constituent qu’une faible partie des états mixtes.
Initialement inventées en mécanique statistique, les matrices densités sont maintenant considérées comme un ingrédient fondamental lorsque l’on considère un (petit) système en interaction avec un (gros) environnement, si gros que toute tentative de connaître celui-ci est vouée à l’échec (tout comme une môle de gaz ne peut être connue molécule par molécule). Nous renvoyons [4] pour la dérivation du fait suivant :
lorsque l’on couple un système quantique à un autre et que l’on ne demande aucune information sur ce dernier, l’état du premier système est représenté par une matrice densité.
On a donc une première transformation vers un état mixte :

\left(\begin{array}{cc}a_0&b_0\\c_0&d_0\end{array}\right)_P\to\left(\begin{array}{cc}a&b\\c&d\end{array}\right)_M \mbox{ matrice positive de trace }1

Vient alors l’idée de décohérence qui dit que, lors de l’interaction entre les deux systèmes, cette matrice densité va évoluer dans le temps vers une matrice diagonale dans une base privilégiée, base ne dépendant que du type d’interaction (et non pas de la matrice densité initiale).

\left(\begin{array}{cc}a&b\\c&d\end{array}\right)_M\to 
\left(\begin{array}{cc}\alpha&\epsilon<<1\\\epsilon<<1&\delta\end{array}\right)\sim\left(\begin{array}{cc}\alpha&0\\0&\delta\end{array}\right) (subtil)

(la présence du \epsilon est reliée à la taille du gros système, et vérifie \epsilon\to 0 dans la limite où la taille du-dit système tend vers l’infini).
Cette étape, la décohérence, est considérée aujourd’hui comme la première étape du processus de mesure : une réduction à un mélange statistique d’états propres, puisque


\left(\begin{array}{cc}\alpha&0\\0&\delta\end{array}\right)=\alpha\left(\begin{array}{cc}1&0\\0&0\end{array}\right)+\delta\left(\begin{array}{cc}0&0\\0&1\end{array}\right)
\mbox{, combinaison de deux états purs,}


\left(\begin{array}{cc}1&0\\0&0\end{array}\right)
\times
\left(\begin{array}{cc}1&0\\0&0\end{array}\right)
=
\left(\begin{array}{cc}1&0\\0&0\end{array}\right)
,
\left(\begin{array}{cc}0&0\\0&1\end{array}\right)
\times
\left(\begin{array}{cc}0&0\\0&1\end{array}\right)
=
\left(\begin{array}{cc}0&0\\0&1\end{array}\right)
,

\mbox{ Trace }\left(\begin{array}{cc}1&0\\0&0\end{array}\right)
=
\mbox{ Trace }\left(\begin{array}{cc}0&0\\0&1\end{array}\right)
= 1
\alpha,\ \delta\geq 0,\ \alpha+\delta=1 et que chacun d’eux est susceptible de donner un résultat précis lors de la mesure. Mais ce n’est QUE la première étape, puisque l’étape ultime est celle qui fait que

\left(\begin{array}{cc}\alpha&0\\0&\delta\end{array}\right)\to \left(\begin{array}{cc}1&0\\0&0\end{array}\right) ou \left(\begin{array}{cc}0&0\\0&1\end{array}\right) projection sur un seul état pur.

On dit que l’action de la décohérence consiste à
effectuer une mesure sans lire le résultat
On voit donc que l’on a trois types d’identité :
- des états purs, matrices densités qui sont des projecteurs
- des états mixtes, matrices densité générales
- des états classiquement mixtes, matrices densité mélange statistiques de projecteurs sur les éléments d’une base « préférée ».
La décohérence, qui rappelons-le est uniquement le fait de l’évolution quantique par l’équation de Schrödinger et est « hors mesure », ré-instaure donc en Mécanique Quantique un aspect identitaire (et probabiliste) classique dans le panorama de l’identité quantique.
On voit ainsi comme l’identité d’un système quantique, confronté à un environnement considéré a priori comme semi classique, effectue un voyage pendant lequel elle change, à l’intérieur d’un jeu de possibles bien délimité.
Signalons pour terminer que le chemin inverse, d’un état mixte vers un état pur, est possible. Cette démarche de purification s’appuie sur un théorème remarquable qui dit que, moyennant une augmentation suffisante du nombre de particules dans l’environnement, toute matrice densité devient un projecteur. La purification passe donc par la pluralité.

4. Mu\beta es sein ?

Nous avons vu plus haut que la façon moderne de considérer le processus de mesure en Mécanique Quantique consistait à le voir comme une partie intégrante de l’évolution quantique, l’autre partie étant donnée par l’équation de Schrödinger (notons qu’il existe actuellement des algorithmes quantiques basés exclusivement sur une évolution de type mesure : on effectue une mesure associée à une observable particulière, et, suivant le résultat obtenu, on effectue une autre mesure associée à une autre observable choisie en fonction du résultat de la mesure précédente).
Cette formulation est parfaitement cohérente sous la condition que l’on sache à un moment donné quel type d’évolution doit être considérée. En d’autres termes :

Peut-on décider l’évolution ?

Expérimentalement le bon sens décide ; un appareil de mesure que l’on peut manipuler pour obtenir un résultat est en général de type classique (bien que les expérimentateurs commencent à grignoter ce bon sens). Le problème est plutôt du point de vue théorique, et de l’état d’une théorie qui ne dit pas a priori quel type d’évolution on doit considérer à un moment donné. Cet « indéterminisme » est le seul qui soit vraiment sérieux selon moi, et n’a rien à voir avec l’indéterminisme présent dans le processus de la mesure qui, lui, ne représente aucun paradoxe. Les merveilleuses (et délicates) démarches des expérimentateurs tentant de déterminer un seuil pour la taille des systèmes quantiques au delà duquel l’interaction avec un petit système doit être de type « mesure » ont jusqu’alors échoué : on ne voit pas de transition dans les échelles susceptibles de faire passer de « Schrödinger » à « mesure ».
On peut donc se demander s’il ne faudrait pas poser, en lieu et place de la question Peut-on décider l’évolution ? celle-ci :

Faut-il décider l’évolution ?

Ou plutôt

Faut-il être capable de décider l’évolution ?

Une théorie physique doit-elle, dans son formalisme, ne contenir que du décidable ? Dans le cas contraire une théorie physique doit-elle être considérée comme mal fondée et rejetée ?
Le vocabulaire même nous mène à entrevoir une analogie avec les aspects fondationnels des mathématiques que nous avons entreprise dans [2].
Terminons par la remarque suivante qui sera notre conclusion.

Les deux types d’évolution correspondent à deux types d’identité, puisque la mesure a plutôt un caractère « particule » (on les détecte) et Schrödinger un type « ondes », on a deux types d’identité qui cohabitent, chacune contenant ses propres paramètres. La question est donc bien :

L’identité de l’identité est-elle décidable ?


References

[1] G. Longo et T. Paul, The Mathematics of Computing between Logic and Physics, article invité, dans « Computability in Context : Computation and Logic in the Real World », S.B. Cooper and A. Sorbi, eds, Imperial College Press, (2010).

[2] G. Longo et T. Paul, en préparation.

[3] T. Paul, Semiclassical Analysis and Sensitivity to Initial Conditions, « Information and Computation », 207, p. 660-669 (2009).

[4] T . Paul, Indéterminisme quantique et imprédictibilité classique, « Noesis », (2011).

[5] T. Paul, La mécanique quantique vue comme processus dynamique, dans "Logique, dynamique et cognition" (dir. J.-B. Joinet), collection « Logique, langage, sciences, philosophie », Publications de la Sorbonne, Paris, (2007).

[6] T. Paul et S. Poinat, « Are quantum systems emergent ? », preprint.

Logique et Interaction : vers une Géométrie de la Cognition

Cet opus augural rassemble des communications issues des différentes rencontres du groupe LIGC [Logique et Interaction : vers une Géométrie de la Cognition] au sein duquel collaborent des philosophes et des scientifiques d’horizons divers, rassemblés dans une réflexion philosophique commune sur l’impact des métamorphoses récentes de la logique dans le contexte de son dialogue avec l’informatique théorique.

Le groupe LIGC promeut une analyse critique des points de vue « réalistes » prédominants en philosophie de la logique, en philosophie des sciences et dans les approches logiques de la cognition, au profit d’une philosophie interactionniste de la rationalité.