L'auteur
Boris Barraud
Laboratoire interdisciplinaire de droit des médias et des mutations sociales (LID2MS)
boris.barraud [chez] univ-amu.fr
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Référence
Boris Barraud, « Les « croisements des sciences » et les juristes », Influxus, [En ligne], mis en ligne le 6 mars 2014. URL : http://www.influxus.eu/article675.html - Consulté le 10 novembre 2024.
Les « croisements des sciences » et les juristes
Essai sur l’ascientificité de la transdisciplinarité et l’impraticabilité de la pluridisciplinarité
par
Résumé
L’interdisciplinarité et les juristes, voilà une rencontre épique, improbable presque. En effet, la sphère du juridique s’est traditionnelement construite en parfait vase clos, sans ouverture aucune vers le monde extérieur. Pourtant, à l’heure du développement de la sociologie du droit, de l’anthropologie du droit et de la pensée postmoderne, la question d’une mutation épistémologique allant de la monodisciplinarité classiciste vers la trans- et/ou pluridisciplinarité se pose avec de plus en plus d’insistance. Il n’est seulement pas assuré que pareille évolution devrait être qualifiée de « progrès scientifique ». La présente contribution consiste en quelques libres réflexions sur la pertinence à la fois pratique et épistémologique de l’ouverture du droit aux autres sciences sociales. Elle précise également le sens des notions d’inter-, pluri- et transdisciplinarité qui désignent des modes d’étude spécifiques et ne doivent pas être confondues, par exemple, avec l’accueil, parmi certains travaux, de quelques éléments d’analyse extérieurs complémentaires et sporadiques. Il n’y a interdiscipinarité que lorsque les matières convoquées le sont, quantitativement et qualitativement, de manière peu ou prou équivalente. Peut-être l’intention de « croiser les sciences » est-elle tout à fait inconséquente ; peut-être sont-ce là les prémisses d’un avenir décloisonné. Mais, si cette dernière hypothèse est la bonne, les juristes seront les derniers à le reconnaître. En revanche, si c’est la première qui doit l’emporter, alors les juristes sont bien les gardiens de la scientificité des sciences sociales.Les juristes souhaitent-ils et peuvent-ils contribuer à une revue des croisements scientifiques, i.e. une revue pluri/inter/trans-disciplinaire, telle qu’Influxus se propose de l’être ? L’auteur des présentes lignes étant lui-même juriste, il semble que oui. Néanmoins, il convient de pousser la réflexion plus avant. Tout d’abord, ledit auteur ne prétend certainement pas représenter la communauté des juristes en son ensemble, ce qui implique que l’objectivité et l’empirisme doivent être mobilisés avant toutes autres choses au sein de cette étude. Ensuite, il est membre d’un laboratoire qui, bien que rattaché à une Faculté de droit et de science politique, revêt l’étonnante particularité de se présenter explicitement comme « interdisciplinaire ». Or, si nombreuses sont les institutions qui se proposent de briser les frontières parmi les sciences humaines, les juristes ne paraissent pas vouloir participer au mouvement puisque le LID2MS [1] est le seul laboratoire, centre ou institut de recherche français à mêler le juridique et l’interdisciplinaire [2]. Ce constat n’est d’ailleurs guère valable à l’étranger puisque la Belgique, la Suisse ou le Québec comptent, de leur côté, différentes unités de recherche compilant les termes « droit » et « interdisciplinaire ». L’Université Saint-Louis de Bruxelles publie même, depuis plus de trente ans, une Revue interdisciplinaire d’études juridiques à laquelle ont participé les pensées juridiques les plus abouties. En France plus qu’ailleurs, donc, les Facultés de droit sont refermées sur elles-mêmes, vivent en complète autarcie et acceptent peu — si ce n’est pas — l’ouverture au « non-droit scientifique ».
La livraison de novembre 2013 de le revue Hermès s’intitule « interdisciplinarité : entre disciplines et indiscipline » ; on ne saurait dire mieux. Respecter les frontières de sa discipline, c’est être discipliné ; chercher à les dépasser, c’est être indiscipliné. Aussi une revue interdisciplinaire apparaît-elle telle une parfaite lubie aux yeux du juriste pour qui la discipline est une vertu cardinale ; a fortiori si la revue s’ouvre, non seulement aux sciences humaines, mais encore, au-delà, à tout ce qui présente un caractère scientifique quelconque. Or c’est bien en cet espace excessivement large que s’inscrit Influxus lorsqu’elle propose de se situer « à la croisée des chemins, entre sciences humaines et sociales, mathématiques, informatique et sciences de la nature » [3]. Le premier danger est évident : à être trop ouvert, on risque souvent de ne voir personne entrer ; faire tomber les murs de sable des déserts ne change pas le monde. Mais Influxus est aussi une revue « d’exploration des nouveaux objets ». Sous cet angle, puisque plus les découvertes se succèdent et plus il reste à découvrir, nul doute que l’ambition est parfaitement pertinente et, surtout, passionnante. Pourtant, le juriste, conservateur parmi les conservateurs, appose là encore un œil noir sur le projet. La théorie, l’épistémologie et la science du droit modernes se sont construites rapidement, au cours de la première moitié du XXe s., puis se sont figées. Nul n’affirmera qu’elles demeureront à jamais immobiles et hostiles au changement— car rien n’est éternel —, mais, en 2013, la réalité est bien celle-là : les diverses composantes du droit forment un monolithe qui, certes, s’effrite et se régénère en surface, mais qui, surtout, sommeille profondément en son intérieur. Une autre contribution à Influxus pourra être consacrée au caractère statique du pan théorico-scientifique du droit qui lui interdit de considérer avec sérieux l’idée d’ « exploration des nouveaux objets ». Les présents propos, pour leur part, se limiteront à l’intention épistémologique consistant à vouloir « croiser les sciences » et donc à la problématique de l’interdisciplinarité du point de vue des scientifiques-juristes.
Il faut, en premier lieu, distinguer inter-, pluri- et transdisciplinarité. L’interdisciplinarité peut être conceptualisée comme étant le genre qui regroupe la pluridisciplinarité (lorsque plusieurs matières sont convoquées à tour de rôle, sans se mélanger, l’analyse restant divisée en autant de parties bien distinctes qu’il y a d’angles d’étude) et la transdisciplinarité (quand l’observateur relie ou mêle les apports méthodologiques de plusieurs sciences, lesquelles s’effacent alors pour laisser place à un commentaire original et unitaire) [4]. Avec la transdisciplinarité, les disciplines tendent à s’allier autour de nouveaux objets, de nouveaux outils et d’une nouvelle langue, sorte d’ « esperanto scientifique » [5]. L’idée de « postmodernité », qui rime avec complexité et obscurité, n’est alors pas loin. La transdisciplinarité est un art rare ; et, si c’est un art, c’est que ce n’est pas une science. Là où la science est rationnelle, l’art est irrationnel ; car l’art est le produit de la liberté d’expression. Or s’il est bien quelque-chose d’irrationnel sur Terre, c’est bien ce que l’homme fait de sa liberté. C’est d’ailleurs pour cela qu’existent l’État et le droit.
Toutefois, à l’heure actuelle, qui demeure encore pour un temps l’heure de la modernité, certainement l’interdisciplinarité se résume-t-elle le plus souvent — et heureusement — à la pluridisciplinarité, notamment lorsque des colloques ou des ouvrages collectifs se définissent comme « interdisciplinaires ». Il est aussi permis d’estimer, même si ce n’est pas la conception ici retenue, que l’interdisciplinarité est le degré intermédiaire entre la pluridisciplinarité (aucune intégration et pluralisme) et la transdisciplinarité (totale intégration et monisme), lorsque la recherche s’opère à partir du champ théorique d’une discipline précise puis développe des problématiques recoupant partiellement celles qu’élaborent, de leurs côtés, d’autres disciplines. Il s’agirait, dans ce cas, d’une « véritable articulation de savoirs, qui entraîne, par approches successives, comme dans un dialogue, des réorganisations partielles des champs théoriques en présence » [6]. Mais, à cheval entre pluri- et transdisciplinarité, la position est inconfortable et un esprit cartésien, i.e. rigoureux et conséquent, devra choisir entre l’une et l’autre posture pour ensuite ne pas en changer ou, du moins, en changer le moins souvent [7].
L’état actuel des connaissances scientifiques sur le droit invite à soutenir que l’intérêt de l’interdisciplinarité est, de son point de vue, nul (I) ou quasi-nul, car quelques éléments de sociologie pourraient intégrer prochainement la théorie du droit (IV). Tout commentaire extrajuridique porté sur les règles de droit serait totalement dénué de valeur juridico-scientifique. Sans doute quelques audacieux gagent-ils que l’état futur des connaissances scientifiques sur le droit sera le résultat de révolutions scientifiques [8] à venir qui auront provoqué l’éclatement du dogme de la monodisciplinarité, consacré des paradigmes postmodernes et aboli la prohibition (II). Mais, si les premiers effets de ces révolutions commencent à se faire sentir, pareil mouvement serait peut-être à qualifier de « régression scientifique » plutôt que d’ « avancée scientifique » (III).
I. — La prohibition moderne de toute ouverture du droit aux autres sciences humaines
La question de la possibilité épistémologique de travaux à la fois juridiques et interdisciplinaires a déjà été posée, donnant lieu à d’interminables controverses, dans différents pays, notamment aux États-Unis où a été renversée la représentation formaliste du droit qui prévalait auparavant dans les Facultés et chez les juges [9]. Le Legal Realism et, en particulier, sa branche la plus radicale qui est le mouvement Critical Legal Studies, ont réintroduit les questions économiques, sociales, politiques et culturelles dans l’analyse et l’enseignement du droit [10]. En France et dans les pays dont le droit est d’inspiration romano-germanique, le retard — ou l’avance ? — est conséquent puisque la problématique commence seulement, timidement, à émerger parmi l’océan normativiste dans lequel baignent, classiquement, les juristes. Sans doute la première différence entre ces traditions juridiques se situe-t-elle dans l’importance conférée à la pensée kelsénienne. Hans Kelsen (1881-1973), théoricien du droit le plus important de l’histoire moderne du droit — en tout cas pour le droit d’Europe occidentale —, impose, dans son œuvre majeure Théorie pure du droit [11], le purisme méthodologique aux juristes [12]. Qui entend étudier les normes juridiques scientifiquement doit s’efforcer de demeurer à l’écart de toutes considérations politiques, philosophiques, sociologiques, psychologiques, religieuses ou économiques [13]. Il doit se contenter d’« exposer le droit tel qu’il est, […] recherche[r] le droit réel et possible » [14]. À cette condition, la théorie et la science du droit sont « pures » ; elles se bornent à « la connaissance du droit, du seul droit, en excluant de cette connaissance tout ce qui ne se rattache pas à l’exacte notion de cet objet » [15]. Reprenant un plein pan de la philosophie kantienne [16], Kelsen rejette tout syncrétisme ou pluralisme méthodologique — ce qui correspond, respectivement, à la trans- et à la pluridisciplinarité — ; il prohibe expressément et pour longtemps tout lien entre le droit et les autres sciences sociales. Il pense, par là, tenir à l’écart tout ce qui pourrait « obscurci[r] l’essence propre de la science du droit et rend[re] floues et vagues les bornes qui lui sont assignées par la nature de son objet : le droit » [17]. Or cette doctrine kelsénienne — dite aussi « normativiste », car présentant le droit tel un ensemble de normes — domine les esprits juridiques dans les pays de civil law, i.e. les pays d’Europe occidentale ayant hérité des institutions romano-germaniques, mais pas dans les pays de common law anglo-saxons.
Dès lors que la science juridique s’imagine ainsi « débarass[ée] de tous les éléments qui lui sont étrangers » [18], « protégée de l’extérieur » [19], toute immixtion de l’interdisciplinarité est par définition et sans autre forme de procès exclue et comprise comme intention inconséquente épistémologiquement. Il ne s’agit cependant aucunement de nier la possibilité d’appréhender les normes juridiques d’un point de vue sociologique, politique, historique ou philosophique. Aucun juriste positiviste ne conteste la possibilité offerte à tout savoir socio-scientifique de traiter des normes ; seulement ce seront alors des analyses sociologiques, politiques, historiques ou philosophiques et en aucune façon des analyses juridiques [20]. Si cela ne devrait contribuer à évincer que la seule transdisciplinarité, il en va de même de la pluridisciplinarité, et donc de l’interdisciplinarité en général, car les juristes s’estiment incompétents dans ces autres matières qui sont, autant que le droit, affaires de spécialistes. Or il y a pluridisciplinarité, non pas lorsque l’auteur d’un ouvrage s’autorise, au détour d’une introduction, quelque considération historique ou sociologique, mais seulement quand les diverses disciplines mobilisées le sont, peu ou prou, de manière quantitativement et qualitativement égale, ce qui peut être le cas dans des travaux collectifs.
Suivant la doctrine normativiste, l’œuvre du légiste se concentre essentiellement sur la norme, sa forme et son contenu, loin de tous éléments de compréhension extérieurs, moraux, sociologiques ou historiques, quand bien même ils pourraient expliquer les raisons de son édiction et permettre d’envisager son avenir. Ce qui importe est la reconnaissance par le système juridique de la juridicité des compétences, faits, règles, concepts ou arguments en cause ; tout ce qui compte est que le devoir-être est et qu’il faut trouver les mots pour le dire à ses confrères juristes. La science du droit s’attache ainsi à une connaissance de son objet qui est non seulement interne et formelle [21], mais aussi fermée. Nulle donnée externe au système juridique ne saurait pénétrer l’analyse et y prospérer.
Certainement la prédominance de la parole kelsénienne n’est-elle pas infondée ou hasardeuse. Par exemple, a été souligné combien il existe une différence irréductible de points de vue, de méthodes et de définitions entre les diverses sciences sociales [22] ; c’est là sans doute une explication à la qualification de « sciences molles » en comparaison des « sciences dures » dont la neutralité et l’objectivité scientifiques paraissent éminemment plus hautes. En tout cas, les théoriciens du droit qui ont laissé une empreinte aux côté de celle de Kelsen sont principalement ceux qui ont suivi sa voie positiviste. Il en va ainsi de Herbert Hart, qui souligne à son tour l’irrésistible autonomie du discours juridique : « l’étude des significations des concepts juridiques constitue une étude importante qu’il faut distinguer […] des recherches historiques, des recherches sociologiques et de l’évaluation critique du droit au regard de la morale, des finalités sociales, des fonctions » [23]. Et, aujourd’hui, les meilleurs spécialistes de l’épistémologie juridique, assurément très au fait des limites de l’objet juridique, d’affirmer sans ambages que, quand bien même un argument ou une observation serait « fondé(e), voire éclairant(e) et utile », il convient de l’ « écarter irrémédiablement sans [le/la] combatt[re] ou conteste[r] si [il/elle] est disqualifié(e) comme non juridique » [24]. Une information économique, sociologique ou politique ne peut, par nature, revêtir quelque pertinence en droit ; elle ne le peut qu’en économie, en sociologie ou en science politique.
« Le décret nommant Dupont à la tête de tel établissement public est un acte juridique sous l’aspect de la théorie des actes administratifs. C’est aussi un acte psychologique (le président aime bien Dupont), politique (Dupont est de droite), sociologique (Dupont et le président allaient au même cours de judo quand ils étaient petits) etc. Mais, précisément, ce qui intéresse la théorie juridique […] c’est l’aspect juridique de ce que fait le président. Le sociologue nous apprend que Dupont et le président faisaient du judo ensemble, le politiste que Dupont est de droite, le psychologue que le président aime bien Dupont etc. Dans ce concert, il revient au juriste de produire le savoir qui porte spécifiquement sur la juridicité du phénomène considéré (Dupont est nommé par décret en conseil des ministres, ce décret n’est valide que s’il est signé de telle et telle manière, il est susceptible de recours sous certaines conditions etc.) » [25].
Des auteurs tels que Gunther Teubner [26] vont jusqu’à soutenir que lesdits éléments d’analyse extrajuridiques n’existent pas. Le système juridique serait un ensemble hiérarchisé de règles répondant à une logique autoréférencielle : le droit se règlerait lui-même ; seul le droit pourrait expliquer le droit puisque ce sont des normes qui habilitent des institutions à créer d’autres normes. Nul doute que c’est là un excès qu’il convient de marginaliser ; car il y a l’explicite et il y a l’implicite ; la procédure juridique habilitant le président à nommer discrétionnairement quiconque à un poste ne suffit pas à démontrer pourquoi il a choisi Dupont plutôt que Durand. Rappeler que le président aime bien Dupont et abhorre Durand n’est alors pas inutile. Mais cela ne suffit pas à passer du monisme à la pluridisciplinarité ; le juriste qui évoque un élément psychologique au sein d’un commentaire juridique demeure pleinement juriste et, fort heureusement, ne s’improvise pas par ce seul fait sociologue.
C’est cette conception positiviste-normativiste de la science juridique qui est enseignée actuellement parmi les Facultés de droit françaises, ce qui, nécessairement, participe largement de sa perpétuation et du fait que « les juristes sont les grands champions de l’enfermement disciplinaire » [27]. L’influence de la formation des étudiants sur leurs constructions intellectuelles futures n’est évidemment pas à démontrer. D’aucuns regrettent ce quasi-monopole dont jouit le kelsénisme : « en se focalisant sur la règle et la technique, nous ne formons que des hordes de plombiers du droit » [28]. Vu depuis les autres disciplines ou du haut d’une revue interdisciplinaire, nul doute que le droit apparaît tel « un ensemble peu convivial » [29].
On a pu également expliquer cet enfermement des juristes par des éléments moins nobles et défendables, spécialement leur constitution en clan clôt et impénétrable, leur volonté de préserver leurs intérêts et de maintenir le caractère exclusif de leur maîtrise sur le juridique [30]. Peut-être aussi le phénomène est-il intelligible grâce à l’observation selon laquelle la science juridique serait, avec l’économie, la seule science sociale à posséder une volonté hégémoniste, impérialiste et modélisatrice [31]. C’est un fait relevé par beaucoup : les juristes sont davantage conservateurs que la plupart des autres scientifiques. Néanmoins, il est de plus en plus de pensées dissonantes qui regrettent l’enclavement du droit et aspirent à de nouvelles ouvertures. Mais les révolutions ne se font pas en un jour et les juristes progressistes doivent ménager les « modernes » [32]. Pour l’heure, les mouvements se font vers toujours plus de spécialisation juridique. En 1896, les Facultés de droit avaient été divisées en quatre sections : droit privé et criminel, droit public, histoire du droit et sciences économiques. Plus tard, en 1971, la science politique s’était vue séparée du droit public [33]. Les branches poussent les unes après les autres et il semble périlleux de chercher à s’asseoir sur plusieurs à la fois, en tout cas du point de vue de la logique universitaire, notamment celle qui préside au recrutement des jeunes enseignants-chercheurs qui forment la doctrine juridique de demain [34]. Peut-être y aura-t-il une agrégation de droit fiscal avant qu’il y ait une agrégation de droit. Et les travaux de juristes qui désireraient s’inscrire, par exemple, dans une perspective de sociologie du droit risquent de se voir considérés avec suspicion, pour ne pas dire déconsidérés ; la carrière universitaire de leurs auteurs est alors interrogée puisqu’ils n’entrent guère dans une case du découpage canonique [35]. À nouveau, ce constat vaut principalement pour la France ; dans de nombreux pays, la Belgique ou l’Italie par exemples, les enseignements de sociologie ou de philosophie du droit s’avèrent tout à fait communs.
Malgré l’omnipotence du positivisme juridique qui prohibe, non pas la participation des juristes à des travaux interdisciplinaires [36], mais le recours à l’interdisciplinarité par les juristes, la question de la possibilité de ce dernier est chaque jour posée avec un peu plus d’insistance.
II. — La question postmoderne d’une ouverture du droit aux autres sciences humaines
La science juridique, quelles que soient l’objectivité et le perfectionnement de ses méthodes, ne saurait être réellement « pure ». Elle sera toujours une « science à la cuillère » et jamais une « science au microscope » à l’identique des sciences naturelles car son objet, lui, est irrémédiablement « impur » [37]. Partant, les dogmes normativistes sont infiniment plus contestables que des règles physiques ou biologiques empiriquement observables et observées. Ils ne sont ni vrais, ni faux ; ce sont des choix arbitraires que d’autres propositions sont en mesure de contester et, éventuellement, de supplanter. Il revient au public des juristes de trancher entre la tradition et le changement. Seulement le normativisme paraît aujourd’hui encore solidement, profondément et pour longtemps ancré dans la psyché juridique collective ; et le juriste qui souhaiterait contribuer à une « revue des croisements scientifiques » risque fort d’être regardé d’un œil noir par ses condisciples. Pourtant, il faut redire que la participation à des projets interdisciplinaires ne signifie pas que ladite participation est elle-même interdisciplinaire. Il n’en demeure pas moins que peu de juristes identifient un quelconque intérêt parmi des articles portant sur « le formalisme hilbertien et la culture » [38], « le concept mathématique de catégorie » [39] ou « les catégories physiques, du classique au quantique » [40] ; autant qu’il est difficile pour un philosophe ou un mathématicien de se passionner pour « le régime juridique applicable au patrimoine architectural, urbain et paysager » [41].
Si le droit est largement refermé sur lui-même et ne s’attache guère aux savoirs produits et à produire par les autres sciences humaines, cela fait longtemps, à l’inverse, que les autres sciences humaines se préoccupent du droit. L’analyse économique du droit appréhende ce dernier et la légitimité de ses institutions à l’aune de la problématique de l’allocation efficace des ressources ; la sociologie du droit l’étudie en tant que phénomène social et instrument de pouvoir ; l’anthropologie du droit le considère sous l’angle culturel et symbolique ; l’histoire du droit s’attache à son passé plus ou moins lointain, à ses ruptures et à ses permanences ; la géographie du droit examine ses rapports à l’espace ; et la philosophie du droit recherche ses fondements et ses raisons-d’être les plus profondes. Seulement, il faut le redire, tout cela est ici hors sujet puisque ce ne sont pas là des connaissances juridiques produites par des juristes, mais bien des savoirs économiques, sociologiques, anthropologiques, historiques, géographiques et philosophiques forgés par des économistes, des sociologues etc. A priori, ces champs d’études pourraient être riches d’enseignements ; quoique de façon aléatoire puisque, par exemple, les sociologues et les anthropologues du droit tendent à confondre régulièrement les normes juridiques avec l’ensemble des normes sociales dont elles ne sont pourtant qu’une espèce particulière, ce qui amenuise considérablement leur intérêt. C’est un comble mais c’est ce qui peut se passer lorsqu’on utilise dans un domaine des notions conceptualisées dans un autre : la sociologie du droit et l’anthropologie du droit, souvent, n’étudient pas le droit ou, au mieux, étudient le « droit » vaguement entendu.
Il n’en demeure pas moins que quelques juristes avant-gardistes soutiennent que les travaux juridiques gagneraient en profondeur, en précision et en portée s’ils ouvraient la porte, non pas à la transdisciplinarité — car ils deviendraient alors confus et inintelligibles —, mais à la pluridisciplinarité. Quelques brèches dans la clôture positiviste du droit seraient une avancée formidable et ils plaident en faveur d’enseignements de philosophie ou de sociologie du droit dans les Facultés, regrettant que l’absence de ces matières de réflexion empêche les étudiants d’acquérir la hauteur de vue et le recul nécessaires [42]. Pour l’heure, ces derniers ne percevraient les normes que sous un angle purement technique et utilitaire [43]. Sans doute, au-delà des étudiants, les juges et, plus encore, le législateur ont-ils grand besoin d’éléments extrajuridiques pour espérer construire des jugements et appréciations éclairés. Mais tous ne sont des juristes qu’à l’instant où ils manient la technique juridique ou lorsqu’ils produisent un savoir sur le droit ; ils perdent cette casquette dès lors qu’ils s’enquièrent de données politiques ou économiques.
Déjà en 1935 le sociologue Gurvitch déplorait que « la distinction tranchante entre “science du droit”, “sociologie du droit” et “philosophie du droit” paraît être, aux yeux de la plupart des juristes, le dernier mot de la sagesse méthodologique, tandis qu’elle est, en réalité, […] tout à fait artificielle et stérile car elle conduit à l’impuissance de chacune de ces disciplines. […] L’hostilité entre [elles] est la cause de leurs tendances dogmatiques et de leur retard frappant sur l’évolution générale de la pensée philosophique et scientifique » [44]. Il semble que, depuis que Gurvitch a écrit ces lignes, les disciplines non-juridiques se sont détachées du droit, lequel demeure obstiné solitaire tandis que ces premières, désormais, collaborent, spécialement au moyen de revues interdisciplinaires. Il n’y a guère plus que les juristes dogmatiques — c’est-à-dire la plupart car « dogmatique » est considéré en droit comme synonyme de « science » — qui perpétuent la « contemplation narcissique » [45] et demeurent fermés. Peut-être est-ce parce que, tandis que l’essentiel des sciences humaines sont des sciences « molles », le droit ne serait qu’une science « mi-molle » ou « mi-dure », soit une science plus rigoureuse méthodologiquement que les autres [46]. Mais alors les juristes, pourtant présentés comme conservateurs, seraient ceux qui, au cours du XXe s., parmi les sciences sociales, auraient vu leur science se perfectionner le plus profondément. Il convient assurément de distinguer qualité du changement et quantité de changements.
Par ailleurs, on affirme, non sans un certain pragmatisme — mais le pragmatisme et le droit ne sont pas deux choses qui vont naturellement ensemble [47] —, que comprendre le juridique comme un système autonome et imperméable est contraire à sa réalité. Pourtant un concept tel que « droit » est ce que ses « concepteurs » disent qu’il est. Pour qui s’intéresse à la définition nietzschéenne de la « volonté de puissance » [48], la « volonté de puissance au sens de Nietzsche » est ce que Nietzsche dit qu’elle est et non ce qu’Alain [49] ou Cioran [50] disent qu’elle est. Le « droit au sens des juristes » — le seul qui leur importe — est ce que les juristes disent qu’il est et non ce que les sociologues ou les anthropologues disent qu’il est. Pour la doctrine kelsénienne, largement majoritaire, ce n’est pas une difficulté que le droit ne corresponde pas à la réalité sociale puisque la loi de Hume sépare sans possibilité de passerelles la sphère du devoir-être (le droit) et celle de l’être (la réalité sociale). Mais, concernant la réalité du droit, elle relève du seul devoir-être et ne doit pas être confondue avec la réalité sociale dont l’étude est à réserver aux sociologues. L’important, pour des juristes conséquents, devrait être que le devoir-être soit, notamment qu’il soit appliqué, effectif. Mais ils ne sont que peu à envisager l’ordre juridique comme membre à part entière de l’ordre social, empruntant tant à l’ordre spontané qu’à l’ordre moral, et à étudier la socialisation et la moralisation du droit qui seraient des phénomènes autant informels qu’inévitables [51].
Pour d’autres, une analyse du droit enrichie, gagnant sans ne rien perdre en retour, pourrait être une analyse ouverte aux influences de l’environnement social, politique et économique sur le système juridique. Le système resterait système, mais « système assoupli » [52], comprenant les éléments purement formels et normatifs identifiés par Kelsen, mais sans s’y réduire. Profitant de pareille « systématisation externe » [53], le droit ne serait plus coupé de la société et des valeurs qu’elle porte, ce qui ne serait pas sans importance à l’heure de la globalisation et de l’accélération du changement. La science juridique est un mur important — un mur porteur même — parmi les sciences sociales. Imaginer qu’elle n’entretient aucune relation d’interdépendance avec elles relèverait de l’incohérence. Certainement « tout se tient[-il] », ainsi que l’a relevé il y a déjà longtemps Antoine-Augustin Cournot [54]. Et l’analyse juridique devrait être menée dans la perspective épistémologique d’une contribution partielle à l’intelligibilité de phénomènes dont aucune science ne pourrait prétendre détenir toutes les clés, mais à laquelle toutes auraient quelque-chose à apporter [55].
Assouplir la science juridique pour la rendre plus dure, voilà qui paraît, dans les termes et dans leurs significations, à tout le moins contradictoire. Pourtant, de l’autre côté de l’Atlantique, se trouvent sans peine des études interdisciplinaires sur le droit effectuées par des auteurs de formation juridique [56]. Quant à certains juristes wallons, ils osent définir la théorie générale du droit comme « une science positive […] qui étudie, d’un point de vue externe, les problèmes qui sont communs à tous les systèmes de droit, en utilisant une méthode pluri- ou interdisciplinaire » [57] ; et les mêmes auteurs de proposer de recourir à un « pluralisme des connaissances, des méthodes, des points des vue […] et des disciplines » [58]. Ici ou là, il se trouve également l’un ou l’autre juriste français positiviste glissant discrètement quelque appel en faveur de l’interdisciplinarité [59], jugée « parfois irritante mais toujours stimulante » [60]. Il ne faudrait surtout pas imaginer qu’il s’agit d’un mouvement de masse car « qui ne dit mot consent » et l’écrasante majorité des auteurs, s’ils n’abordent pas ces questionnements épistémologiques, n’en témoignent pas moins, au travers de leurs écrits technico-formalistes, d’un respect — si ce n’est d’un attachement — à l’héritage kelsénien.
Enfin, il se pourrait que les phénomènes de globalisation et de pluralisme juridiques qui s’émancipent depuis quelques années obligent à écouter les enseignements des disciplines non-juridiques, à « se désencastrer » [61] et à engager le « dialogue des savoirs » [62], sous peine de voir le droit et son épistémologie perdre toute pertinence, spécialement car par trop détachés des faits. D’aucuns soutiennent que le positivisme normativiste, hier parfaitement congruent, serait désormais inadéquat devant des mouvements qu’il ne peut correctement et utilement saisir [63]. Le droit changerait, doucement mais sûrement, de nature, des paradigmes postmodernes subrogeraient les classiques [64], ce qui favoriserait la constitution d’un « carrefour interdisciplinaire » [65]. En particulier, le droit deviendrait « souple », construisant des ponts afin de le relier aux autres sciences humaines et à leurs conceptions plus extensives de la juridicité [66]. La notion de « gouvernance » et son émancipation ne sont pas étrangères à ces évolutions [67].
Néanmoins, si ces phénomènes en développement, qui ne peuvent être ignorés, interrogent la théorie, l’épistémologie et la science juridiques modernes, si ces dernières doivent sans doute muer et accueillir de nouveaux concepts et de nouvelles constructions, il est peut-être préférable que lesdits concepts et constructions soient façonnés par des juristes plutôt que par des non-juristes. Que les connaissances autour de l’ontologie du droit ne soient plus l’apanage de ceux que l’État a formé aux fins de les établir et dont, pour la plupart, il finance les recherches ne serait pas le moindre des paradoxes. Aussi, plus que jamais, à l’intérieur de la sphère juridique rejette-t-on « en bloc et en détail » [68] le recours à la transdisciplinarité, ascientifique, et à la pluridisciplinarité, impraticable et impertinente.
III. Contre l’ouverture du droit aux autres sciences humaines ?
Toute discipline scientifique se constitue autour d’objets, de méthodes et d’intentions spécifiques. Si la pluridisciplinarité, consistant à juxtaposer les enseignements produits par différentes sciences, est possible et peut être pertinente, tandis que la transdisciplinarité se révèle être une impasse épistémologique, l’ouverture de la science juridique aux autres sciences sociales, même dans le cadre de la pluridisciplinarité, ne paraît que peu souhaitable. Cette dernière, en effet, implique la quasi-égalité, quantitativement, entre les disciplines mobilisées dans l’étude. Or ce n’est que ponctuellement que la science politique, l’économie ou la philosophie peuvent servir à l’enrichissement de travaux principalement juridiques. Seule une conception magique du travail scientifique peut permettre d’envisager que de la simple juxtaposition de savoirs parallèles pourrait surgir une problématique commune. La pluridisciplinarité est toujours addition de monologues inaccessibles du point de vue des scientifiques non attachés à la matière qui a la parole [69]. Chaque secteur scientifique possède « sa langue et son génie propre » [70] ; si ces éléments n’étaient plus respectés au nom de la démocratisation et du syncrétisme, si les sciences devenaient parfaitement compréhensibles et praticables par les non-spécialistes, ce serait peut-êtrr que la scientificité aurait grandement diminué, ce qu’il faudrait appeler « régression » et certainement pas « progrès ».
Mais tel n’est guère le constat qui, aujourd’hui, peut être établi. Le courant « droit et littérature », par exemple, qui postule que l’art des romanciers doit être mobilisé par les juges afin d’atteindre l’idéal de justice [71], s’il se développe aux États-Unis, n’en demeure pas moins embryonnaire et, dans tous les cas, le fait de philosophes et non de juristes ; leurs propositions ne revêtent donc aucune portée scientifique en droit ; elles ne le pénètrent pas même si elles le prennent comme sujet.
En outre, démonstration a déjà été faite que, lorsqu’on fait cohabiter plusieurs domaines scientifiques, l’un finit souvent par cannibaliser les autres [72]. En général, il s’agit de celui avec lequel l’auteur — ou le directeur ou la majorité des auteurs pour les projets collectifs — entretient les plus grandes affinités. Ainsi la science des juristes pourrait être malmenée depuis l’extérieur mais pas en son intérieur ; or les remparts qu’elle a érigés sont toujours plus hauts et résistants. Qui aborde la règle de droit non plus du point de vue interne du juriste, mais de manière externe, avec l’œil de l’anthropologue ou de l’historien, franchit ces frontières et sort du cadre de la science juridique. Dès lors, il n’est pas permis d’avancer que ladite science se serait ouverte ; simplement l’observateur a-t-il changé de lunettes, déposant les juridiques pour en chausser des non-juridiques. C’est bien que seule la question de la pluridisciplinarité peut se poser.
Le moment n’est donc pas venu, en tout cas selon les juristes, de « briser les murs entre les sciences sociales » et de fonder un « pluriversalisme épistémologique dans le cadre d’une science sociale générale » [73]. Il semble difficile d’envisager ce à quoi ressemblerait cette « science sociale générale » ou bien une science juridique qui « recourt aux autres disciplines sociales, à la philosophie, à l’histoire, à l’économie, à l’anthropologie, à la politique » [74]. Concernant la matière politique, par exemple, déjà Goethe pouvait écrire que « là où commence le pays des juristes s’arrête la politique » [75]. Ainsi faudrait-il s’opposer à qui invite les scientifiques du droit à « ranger [leurs] habits de juristes obtus et endosser ceux d’une vision plurielle des sciences sociales. Tordre le cou à la croyance de la séparation du politique et du juridique est déjà un premier pas. Faut-il rappeler quelques grands anciens comme Gény pour lequel “le droit, c’est de la politique qui a réussi” » [76]. Certainement le droit est-il de la politique qui a réussi, c’est même là sa logique première. Il n’en demeure pas moins que le droit est étudié par la science juridique et la politique par la science politique. Quant au moment intermédiaire durant lequel la politique réussit et devient droit, il est à analyser en tant que politique par la science politique et en tant que droit par la science juridique. Les mêmes remarques peuvent être adressées à la « sociologie politique du droit » [77] ou à la « sociologie historique du droit » [78] qui semblent mêler les disciplines mais qui sont, en réalité, de la sociologie spécialisée, donc de la sociologie.
Les sciences sociales non-juridiques, à l’instant où elles désirent pénétrer la science juridique, ne contribuent qu’à la brouiller et à lui faire perdre une part de sa scientificité, quand bien même elles se révèleraient extrêmement fécondes dans leurs cercles propres ; car ce sont bien les juristes et eux seuls qui, de tout temps, identifient l’irréductible originalité des règles de droit et imposent leurs propres procédés et moyens d’investigation et de réflexion. « Les méthodes et les savoirs des juristes sont nécessairement juridiques » ; cela paraît être un truisme et pourtant cette phrase est la source de discussions aussi profondes que nécessaires. Et la source est loin d’être tarie. Les sciences humaines, comme le rappelle Gaston Bachelard [79] — et à l’inverse des sciences de la nature —, ne sont pas données mais construites, et en cela beaucoup plus humaines. Est-il, dès lors, légitime et congruent de chercher à renverser des traditions scientifiques parfois ancestrales au nom du progrès scientifique ? Sans doute faut-il répondre « oui », mais à condition que la possibilité de ce progrès soit avérée, ce qui ici ne paraît pas être le cas.
Néanmoins, la théorie du droit contemporaine gagnerait, après avoir pris quelques précautions, à s’intéresser à un aspect d’essence sociologique de la règle juridique : son effectivité.
IV. — Pour une ouverture ponctuelle et temporaire du droit à la sociologie par l’accueil de l’effectivité ?
Une attitude à la fois raisonnable et progressiste scientifiquement consisterait à intégrer parmi le globe juridique, non pas toutes les autres sciences humaines — ce qui aboutirait à constituer un bric-à-brac plutôt antiscientifique —, mais uniquement la sociologie ; et non pas toute la sociologie, mais seulement un des enseignements qu’elle permet. Il convient d’insister à nouveau sur le fait que la problématique de l’ouverture de la théorie et de la science juridiques n’existe nécessairement que du seul point de vue des juristes. Cela fait longtemps que des sociologues, mais aussi des économistes ou des philosophes s’intéressent au droit ; mais, parce que positionnés en son extérieur, ils ne peuvent matériellement décider des conditions épistémologiques ayant cours en son intérieur. Seuls les juristes, qui plus et mieux que les autres définissent la juridicité et ses critères, sont en mesure de décider ou non de la fracturation de leurs acquis.
Concernant la sociologie juridique — qui, à l’inverse du « droit de la sociologie », appartient à la sociologie mais pas à la science juridique —, on a déjà pu remarquer combien les sociologues étaient mal outillés pour saisir le droit [80], notamment parce qu’ils tendent à confondre maladroitement l’ensemble des normes sociales avec celles qui, parmi cet ensemble, sont spécifiquement juridiques. Jean Carbonnier pouvait souligner la difficulté à être tout à la fois juriste et sociologue, ainsi que l’enjeu scientifique résidant dans les méthodes sociologiques : « les sociologues ne doivent pas venir au droit en se faisant trop d’illusions sur son compte. Ils l’imaginent comme une science de la même nature que la leur, justiciable des mêmes méthodes, si bien que de l’une à l’autre il y aurait continuité, voire faculté de substitution. Et ils s’étonnent, s’irritent en constatant que les juristes persistent à traiter leur matière par des procédés quasi-théologiques, par des procédés littéraires plus que scientifiques » [81].
Classiquement, la science du droit n’a d’égards que pour la validité de la norme, i.e. pour le fait que la loi la prescrit et qu’elle est intégrée à l’ordre juridique, ce qui est la traduction de la prégnance du formalisme. Plus accessoirement, elle recherche la conformité de la règle aux valeurs et idéaux « naturels » et/ou « divins » imprégnant le monde ; et elle s’enquiert de son utilisation par les juges qui seuls sont, in fine, habilités à véritablement dire le droit dans le système juridique [82]. La question de l’effectivité de la norme chez ses destinataires privés — ses destinataires publics étant les cours et tribunaux — lui est, en revanche, assez indifférente : « seule relève de la science du droit la question de l’obligation, mais non celle de l’obéissance effective. [Cette dernière] relève de la sociologie politique ou de la psychologie » [83]. L’idée d’ouverture, même ponctuelle, à la sociologie dans la science juridique est donc incompatible avec le positivisme et le logicisme normativistes caractéristiques du droit moderne.
Concomitamment, les juristes apparaissent depuis longtemps, aux yeux des sociologues, tels des conservateurs obstinés, « gardiens de l’hypocrisie collective » selon les mots de Pierre Bourdieu [84], projetant le droit dans une sphère hermétiquement fermée à la réalité sociale vivante : celle du devoir-être qui n’entretient nul rapport avec l’être. Selon Georges Gurvitch, « le juriste, du haut de sa tour d’ivoire, se détournant avec mépris de tout ce qui a trait à la réalité sociale du droit, est fier de raisonner dans le vide formaliste du cadre étatique, les textes législatifs et les décisions des tribunaux lui barrant la route à tout contact avec la vie de la société » [85].
Il fut, toutefois, d’éminents juristes qui recoururent à la sociologie afin de proposer un regard nouveau sur le droit. C’est au travers de la confrontation avec la sociologie naissante qu’une authentique « science du droit public » se construisit, notamment par la plume de Léon Duguit qui fréquentait Durkheim à Bordeaux. Aujourd’hui, alors que le droit se globalise, que le monisme juridique n’est plus qu’un lointain souvenir et que la juridicité des normativités privées est toujours niée par beaucoup, il est impérieux que les juristes, s’ils veulent éviter l’insertion de guillemets évocateurs dans « “science” juridique », s’attachent à l’ « expérience juridique » et au « droit vécu » [86] ou « droit vivant » que le droit dogmatique ignore par trop [87] en raison de la rupture humienne entre être et devoir-être. La tâche est difficile car la croûte conceptuelle particulièrement épaisse de la théorie du droit refreine ses évolutions potentielles. Mais elle n’est pas impossible et il faut s’efforcer de ramener le droit — sans oublier son particularisme ontologique — au plus près de la vision d’un Durkheim qui considère les groupes sociaux comme des organismes vivants qui naissent, se développent et disparaissent. La démarche du sociologue le conduit à considérer les règles sociales sous un angle évolutionniste et comparatiste, traitant le droit comme un pur reflet de l’organisation de la société, sans indépendance ni rupture aucune avec la vie sociale. Il n’y a pas de place dans cette perspective pour l’idée d’une séparation ou même d’un écart entre le droit et la société ou entre le droit et la pratique [88].
S’il est stimulant et porteur d’entendre ces acceptions sociologiques, il ne s’agit guère de les accueillir sans opérer de tri et, ainsi, d’effacer purement et simplement, comme le font Durkheim et la plupart des sociologues, l’autonomie du droit. La science juridique a à être attentive aux enseignements de la sociologie exclusivement afin de mesurer l’effectivité et, plus largement, l’efficacité des règles de droit, lesquelles deviennent conditions parmi d’autres de la juridicité et non plus seulement indices de la normativité. Mais il n’est en aucun instant question d’omettre la spécificité du droit et d’étudier toutes les règles sociales, qu’elles soient juridiques ou qu’elles ne le soient pas. Duguit, bien qu’influencé par Durkheim, envisageait les règles de droit comme un ensemble de normes supérieures et qui demeurent irréductiblement étrangères aux réalités et aux faits [89]. Dans le même temps, Maurice Hauriou s’adonnait à une chimie explosive : mêler méthodes sociologiques et juridiques [90], ce qui participait de l’émancipation d’une doctrine intermédiaire ne s’interdisant pas le recours à la sociologie pour comprendre et expliquer le droit. Mais François Gény et d’autres redoutaient l’impérialisme de la sociologie, qualifiée de « doctrine nettement socialiste » [91] ; le « donné » juridique ne saurait être simple description de faits. Surtout, plus tard, vinrent Kelsen, le développement et l’affirmation du purisme normativiste.
La sociologie, quand elle permet de dégager de l’observation des faits sociaux les réalités que le droit doit traiter, les besoins qu’il doit satisfaire, les aspirations qu’il doit accueillir ou celles qu’il doit combattre [92], est toujours sociologie et ne devient pas science juridique. Que la sociologie soit utile aux organes chargés d’édicter ou d’appliquer les normes ne signifie surtout pas qu’elle intègre, à cet instant, la science juridique et qu’elle devient, ainsi, bidisciplinaire. Il n’y a que lorsque le juriste s’attache à l’effectivité d’une règle qu’elle le fait. D’ailleurs, il ne semble guère s’agir de bidisciplinarité puisque ce n’est pas strictement la même effectivité qui se situe dans la sociologie et dans la théorie juridique ; une fois consacrée par cette dernière, l’effectivité devient un concept ou un outil pleinement juridique, qui ressemble à son homologue sociologique dont il s’inspire, mais qui ne se confond pas avec lui. C’est en cela que l’ouverture à la sociologie n’est que temporaire ; le droit se referme aussitôt après avoir capté ce critère d’essence factuelle qui lui faisait défaut.
L’effectivité doit donc être un critère de la juridicité des normes, aux côtés de la validité, de la valeur, de la sanction, de l’application et de la qualité [93]. Par suite, il n’est pas utile — ni peut-être possible — que les juristes aillent plus loin dans leur volonté de suivre le sociologue Gurvitch lorsqu’il observe que, « si la science du droit se tenait dans ses interprétations et systématisations exclusivement aux textes législatifs et aux jugements des tribunaux, elle risquerait souvent de raisonner dans le vide. […] Comment systématiser et interpréter les textes […] sans pénétration dans l’esprit du droit et dans les forces vivantes qui l’animent. Un juriste, pour être un véritable juriste, et non pas un raisonneur abstrait, un logicien formaliste, ne peut détacher sa science du droit de la recherche sociologique du droit réellement efficace et vivant » [94]. Certainement l’État et le droit sont-ils « des produits sociaux dont la configuration et l’évolution sont indissociables de celles de la société dans laquelle ils s’enracinent » [95] ; ils peuvent alors être étudiés tant d’un point de vue juridique que d’un point de vue sociologique. En revanche, vouloir les aborder au départ de la « sociologie juridique », pour qui possède une formation de juriste, apparaît telle une périlleuse entreprise.
On a pu dire de « sociologie juridique » qu’il s’agit d’une expression-parapluie « utile pour les chercheurs juristes qui étudient des aspects des systèmes juridiques en utilisant des techniques des sciences sociales et pour les chercheurs en sciences sociales intéressés par les systèmes juridiques » [96]. Et la sociologie juridique de se voir définie comme « l’analyse des faits juridiques considérés comme des faits sociaux » [97]. Il n’est pas, malgré les apparences, de contradictions en ces citations. Les règles de droit sont, à l’instar de toutes les règles sociales, des faits que la sociologie peut étudier. Mais cette sociologie, si elle peut être dite « juridique » en ce que son objet d’étude est le droit, n’a cependant rien de juridique épistémologiquement. En ne s’attardant que sur la seule effectivité en tant que critère, parmi d’autres, de la juridicité, ce n’est pas de la sociologie du droit mais plutôt de la « sociologie dans le droit », c’est-à-dire « une sociologie juridique pratiquée à l’intérieur du système juridique, par et pour les juristes » [98], loin de la sociologie du droit littéraire et sans rigueur de Carbonnier qui, lui-même, affirmait que, « si la sociologie juridique veut devenir science, rigoureuse donc scientifique, elle acceptera de quantifier au lieu de poétiser » [99].
Si l’émergence du critère d’origine sociologique de l’effectivité ne signifie pas développement de l’interdisciplinarité sous quelque forme que ce soit, rien n’interdit au juriste de recourir, lorsque cela peut servir à éclairer son propos, à l’une ou l’autre bribe de pluridisciplinarité. L’exigence fondamentale garante de la qualité du discours et de son caractère scientifique consiste simplement à toujours préciser explicitement quel point de vue est adopté ainsi que lorsqu’il en est changé. Il appartient moins au juriste de ne jamais déborder le domaine strictement juridique que de préciser, lorsqu’il le fait, qu’il le fait et pourquoi il le fait. Mais il faut se garder, même en prenant ces précautions, des excès. Par définition, le juriste est spécialiste du droit et pratique la méthodologie juridique ; rares sont ceux capables, dans le même temps, de tenir un propos scientifique cohérent, novateur et porteur en sociologie, science politique ou économie.
Il est préférable que la science juridique ne s’ouvre pas, au-delà de l’intégration de l’effectivité, à sa proche cousine la sociologie. Comme souvent, Carbonnier vise ici juste ; aussi peut-il conclure par ce raisonnement par l’absurde impitoyable : « la sociologie juridique et le droit ont tout à gagner à respecter mutuellement leur autonomie intellectuelle. Il existe une sociologie de la musique ; elle peut rendre service, en les orientant, aux imprésarios et même aux musiciens ; mais elle ne fait pas de musique » [100]. Le droit ne peut pas être dans le même temps philosophie, anthropologie ou sociologie ; la transdisciplinarité est une incongruité scientifique et épistémologique. Quant à la pluridisciplinarité, qui n’est a priori pas sujette aux mêmes critiques mais qui s’avère source de réserves concernant son intérêt et sa praticabilité, elle se situe nécessairement au-dessus des disciplines qui la composent. Au sein de la science juridique, il peut y avoir pluridisciplinarité juridique quand sont convoquées plusieurs matières juridiques, mais il ne saurait y avoir pluridisciplinarité générale par la cohabitation de plusieurs sciences humaines. Partant, si les juristes ne font pas grand cas de l’interdisciplinarité, ce n’est de toute manière pas à eux, ni à d’autres spécialistes, de chercher à régler pareille question qui les englobe mais les dépasse. C’est davantage aux scientifiques des sciences de se prononcer. Seulement se pose la question de l’existence et du statut des « scientifiques des sciences humaines ». La science des « sciences littéraires » est fort dépourvue face au pluralisme qui caractérise celles-ci. En tout cas, le lecteur sera sans doute surpris de voir l’auteur de cet article conclure en soutenant qu’il n’était pas autorisé à l’écrire puisque parler d’interdisciplinarité dans une discipline ou même du point de vue d’une discipline, c’est commettre des contradictio in adjecto. Mais alors, si personne n’est habilité à traiter de l’interdisciplinarité, mis à part d’hypothétiques « scientifiques des sciences humaines », n’est-ce pas là la preuve qu’il sera toujours difficile pour cette intention de prospérer ?
boris.barraud@univ-amu.fr
[1] Laboratoire interdisciplinaire droit, médias et mutations sociales (LID2MS, EA n° 4328), Université d’Aix-Marseille.
[2] Il faut lui ajouter le CRIDEAU (Centre de recherches interdisciplinaires en droit de l’environnement, de l’aménagement et de l’urbanisme) de l’Université de Limoges.
[4] V. aussi B. Nicolescu, La transdisciplinarité, Paris, Le rocher, 1996.
[5] F. Ost, M. van de Kerchove, De la pyramide au réseau. Pour une théorie dialectique du droit, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2002, p. 468.
[6] V. J.-P. Resweber, La méthode interdisciplinaire, Paris, Puf, 1980, p. 16.
[7] Du moins, qui souhaiterait recourir alternativement à la pluri- et à la transdisciplinarité doit le faire de la manière la plus explicite qui soit, c’est-à-dire en précisant toujours au lecteur de quel côté son propos se situe.
[8] V. Th. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques (1962), Paris, Flammarion, coll. Champs, 1999.
[9] V. par exemple L. Lipson, S. Wheeler, dir., Law and the Social Sciences, New York, Russell Sage Foundation, 1986.
[10] V. O. W. Holmes, The Common Law, Boston, Little Brown, 1963 ; L. Cohen-Tanugi, Le droit sans l’État, 2e éd., Paris, Puf, 2007, p. 71 s.
[11] H. Kelsen, Théorie pure du droit, 2e éd., trad. Ch. Eisenmann, Paris, Dalloz, 1962.
[12] Il semble que l’œuvre de Kelsen s’est petit à petit radicalisée puisque, en 1923, il écrivait encore : « peut-être puis-je espérer que nos efforts, qui tendent à approfondir philosophiquement les problèmes de la théorie du droit et de l’État, en les liant aux problèmes analogues des autres sciences, libérant ainsi la nôtre de son isolement malsain et l’insérant comme membre à part entière dans le système des sciences se trouvera justement compris, même par nos adversaires ». H. Kelsen, Hauptprobleme der Staatsrechtslehre entwickelt aus der Lehre vom Rechtssatze, Tübingen, 1923, p. XXIII (cité par N. Bobbio, « Structure et fonction dans la théorie du droit de Kelsen », in Essais de théorie du droit, trad. M. Guéret, Ch. Agostini, Paris-Bruxelles, LGDJ-Bruylant, coll. La pensée juridique, 1998, p. 213).
[13] Ibid., p. I et p. 257.
[14] Ibid., p. I.
[15] Ibid.
[16] V. S. Goyard-Fabre, « L’inspiration kantienne de Hans Kelsen », Revue de métaphysique et de morale, 1978, p. 205 s.
[17] H. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p. 2.
[18] Ibid., p. 9.
[19] A. Garapond, « La pensée de Yan Thomas - Les opérations du droit », Le bien commun, France culture, 17 nov. 2011.
[20] É. Millard, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, coll. Connaissance du droit, 2006, p. 52. L’auteur qui explique que, « même si certains faits peuvent se recouvrir, le droit de ces sciences n’est pas le droit d’une théorie générale du droit. Toute science […] construit son objet dans la démarche scientifique. Le droit de l’histoire (y compris de l’histoire du droit) est la conceptualisation de certains phénomènes dans une démarche de connaissance historique dont les méthodes et les fins sont propres. L’histoire construit son objet de connaissance. Il en va évidemment de même des autres sciences ».
[21] É. Millard, « Point de vue interne et science du droit : un point de vue empiriste », RIEJ, n° 59, déc. 2007, p. 63 s.
[22] « La même définition du droit ne saurait convenir au savant, à l’historien, au sociologue, qui jugent le droit de l’extérieur, et au juriste ». J. Dabin, « La définition du droit. À propos d’une étude récente », in Mélanges en l’honneur de Paul Roubier, Paris, Dalloz-Sirey, 1961, p. 201.
[23] H. L. A. Hart, Le concept de droit, trad. M. van de Kerchove, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2006, p. 301.
[24] Ch. Atias, Épistémologie juridique, Paris, Dalloz, coll. Précis, 2002, p. 97.
[25] M. Xifaras, « Après les Théories Générales de l’État : le droit global ? », Jus Politicum, n° 8, 2012, p. 47.
[26] G. Teubner, Droit et réflexivité. L’autoréférence en droit et dans l’organisation, trad. N. Boucquey, Paris, LGDJ, 1994 ; Le droit, un système autopoïétique, Paris, Puf, coll. Les voies du droit, 1993.
[27] A. Supiot, « État social et mondialisation : analyse juridique des solidarités », Leçon inaugurale au Collège de France, 29 nov. 2012.
[28] J.-F. Riffard, « La mutation de la norme : l’avènement d’un droit nivelé ? Ou retour sur quelques aspects de l’unification et la globalisation des droits », in M. Behar-Touchais, N. Martial-Braz, J.-F. Riffard, dir., Les mutations de la norme, Paris, Economica, coll. Études juridiques, 2011, p. 113.
[29] A.-J. Arnaud, « Le droit, un ensemble peu convivial », Dr. et société, n° 11, 1989, p. 81 s.
[30] P. Bourdieu, « La force du droit. Éléments pour une sociologie du champ juridique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 64, 1986, p. 1 s. ; A.-J. Arnaud, Les juristes face à la société du XIXe siècle à nos jours, Paris, Puf, 1975.
[31] A. Caillé, S. Dufoix, dir., Le tournant global des sciences sociales, La découverte, 2013.
[32] V. par exemple A. Bailleux, H. Dumont, « Esquisse d’une théorie des ouvertures interdisciplinaires accessible aux juristes », Dr. et société, n° 75, 2010, p. 275 s.
[33] M. Milet, « L’autonomisation d’une discipline. La création de l’agrégation de science politique en 1971 », Revue d’histoire des sciences humaines, n° 4, 2001, p. 95 s.
[34] J.-M. Carbasse, « L’agrégation des Facultés de droit », RDP, 2009, p. 300 s. ; F. Melleray, « Les concours nationaux d’agrégation de l’enseignement supérieur », AJFP, n° 2013-1, janv. 2013, p. 70 s.
[35] J. Chevallier, « Doctrine juridique et science juridique », Dr. et société, n° 50, 2002, p. 113.
[36] La pertinence de pareils travaux est une autre question (v. infra, partie III).
[37] L. Habib, « L’impur objet de la science du droit », Droits, n° 11, 1990, p. 93 s.
[38] J. Lassègue, « Le formalisme hilbertien est-il soluble dans la culture ? », Influxus [En ligne], mis en ligne le 4 sept. 2012, <http://www.influxus.eu/numeros/logi...> .
[39] A. Burroni, « Le concept mathématique de Catégorie », Influxus [En ligne], mis en ligne le 26 nov. 2012, <http://www.influxus.eu/numeros/logi...> .
[40] S. Poinat, « Les catégories physiques : du classique au quantique », Influxus [En ligne], mis en ligne le 22 nov. 2012, <http://www.influxus.eu/numeros/logi...> .
[41] B. Barraud, « Le droit de la protection du patrimoine architectural, urbain et paysager – Vue panoramique sur un jardin juridique à la française », Droit administratif, n° 12, déc. 2013, p. 16 s.
[42] E. Serverin, « La sociologie du droit », in M. Grawitz, dir., Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 1996, p. 153.
[43] J.-F. Riffard, « La mutation de la norme : l’avènement d’un droit nivelé ? Ou retour sur quelques aspects de l’unification et la globalisation des droits », précité, p. 113 ; J. Chevallier, « Doctrine juridique et science juridique », précité, p. 113.
[44] G. Gurvitch, L’expérience juridique et la philosophie pluraliste du droit, Paris, Pedone, 1935, p. 15-17.
[45] A.-J. Arnaud, Critique de la raison juridique. 2. Gouvernants sans frontières. Entre mondialisation et post-mondialisation, Paris, LGDJ, coll. Droit et société, 2003, p. 368.
[46] V. infra, partie III.
[47] V. B. Barraud, Repenser la pyramide des normes à l’ère des réseaux. Pour une conception pragmatique du droit, Paris, L’Harmattan, coll. Logiques juridiques, 2012, passim (un ouvrage dont l’auteur dirait aujourd’hui qu’il l’a « commis » davantage qu’il ne l’a « écrit »).
[48] F. Nietzsche, Par-delà bien et mal, Leipzig, Naumann, 1886, § 36.
[49] Alain, Propos sur le bonheur, Paris, Gallimard, 1925, propos XLVII.
[50] E. Cioran, Le livre des leurres, Paris, Gallimard, 1936, p. 201.
[51] Selon Paul Roubier, « l’ordre juridique […] occupe dans la société une position intermédiaire entre l’ordre social spontané, c’est-à-dire l’ordre qui s’établit dans les rapports sociaux en dehors de toute contrainte de cette sorte, et l’ordre moral, c’est-à-dire l’ordre qui serait considéré idéalement comme le meilleur dans les rapports entre les hommes sur la base de la justice ». P. Roubier, « L’ordre juridique et la théorie des sources du droit », in Le droit privé au milieu du XXe siècle. Études offertes à G. Ripert, t. I., Paris, LGDJ, 1950, p. 9-10.
[52] J.-L. Bergel, Méthodologie juridique, Paris, Puf, coll. Thémis droit privé, 2001, p. 25.
[53] Ibid.
[54] A.-A. Cournot, Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique philosophique, Paris, 1851.
[55] A. Supiot, « État social et mondialisation : analyse juridique des solidarités », Leçon inaugurale au Collège de France, 29 nov. 2012.
[56] Par exemple, J.-G. Belley, P. Issalys, dir., Aux frontières du juridique. Études interdisciplinaires sur les transformations du droit, Québec, Université Laval, 1993.
[57] F. Ost, M. van Hoecke, « Théorie du droit », in A.-J. Arnaud, Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 2e éd, Paris, LGDJ, 1993.
[58] F. Ost, M. van de Kerchove, De la pyramide au réseau. Pour une théorie dialectique du droit, op. cit., p. 466.
[59] Par exemple, D. de Béchillon, Qu’est-ce qu’une règle de droit, Paris, Odile Jacob, 1997, p. 157.
[60] J.-M. Sorel, « Le rôle du droit international dans le développement du pluralisme (et vice versa) : une liaison moins naturelle qu’il n’y paraît », in L. Fontaine, dir., Droit et pluralisme, Bruxelles, Nemesis-Bruylant, coll. Droit et justice, 2007, p. 98.
[61] J.-J. Sueur, « Analyser le pluralisme pour comprendre la mondialisation ? », in J.-Y. Chérot, B. Frydman, dir., La science du droit dans la globalisation, Bruxelles, Bruylant, coll. Penser le droit, 2012, p. 93.
[62] F. Ost, M. van de Kerchove, De la pyramide au réseau. Pour une théorie dialectique du droit, op. cit., p. 316.
[63] M. Xifaras, « Après les Théories Générales de l’État : le droit global ? », Jus Politicum, n° 8, 2012, p. 44.
[64] F. Ost, M. van de Kerchove, De la pyramide au réseau. Pour une théorie dialectique du droit, op. cit., passim.
[65] A.-J. Arnaud, « Droit et société. Un carrefour interdisciplinaire », RIEJ, n° 21, 1988, p. 7 s. ; J. Commaille, « La sociologie et les sens du droit », Droits, n° 10, 1989, p. 23 s.
[66] C. Thibierge, « Le droit souple. Réflexions sur les textures du droit », RTD civ., 2003, p. 599.
[67] W. Capeller, V. Simoulin, « La gouvernance : du programme de recherche à la transdisciplinarité », Dr. et société, n° 54, 2003, p. 301 s.
[68] Réf. ironique à F. Arfi, L’affaire Cahuzac en bloc et en détail, Paris, Don Quichotte, coll. Non fiction, 2013.
[69] A déjà été souligné combien, lors des colloques interdisciplinaires, les publics différents ne sont intéressés et attentifs qu’aux contributions de leurs domaines. V. par exemple M. de Wachter, « Bioéthique et pluridisciplinarité : discours parallèles ou vrai dialogue ? », Journal international de bioéthique, vol. 11, 2000.
[70] F. Ost, M. van de Kerchove, De la pyramide au réseau. Pour une théorie dialectique du droit, op. cit., p. 468.
[71] V. A.-M. Luciani, C. Grall, Imaginaires juridiques et poétiques littéraires, Paris, Puf, 2013 ; R. A. Posner, Droit et littérature, trad. Ch. Hivet, Ph. Jouary, Paris, Puf, coll. Droit, éthique, société, 1996.
[72] J. Carbonnier, « Droit privé et sociologie », in Centre international de synthèse, Le droit, les sciences humaines et la philosophie, Paris, Vrin, 1973, p. 35.
[73] A. Caillé, S. Dufoix, dir., Le tournant global des sciences sociales, op. cit..
[74] H. Lévy-Bruhl, Aspects sociologiques du droit, Paris, Marcel Rivière, 1955, p. 33.
[75] Cité par A. Leca, La genèse du droit. Essai d’introduction historique au droit, 3e éd., Aix-en-Provence, Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence, 2002, p. 16.
[76] J.-M. Sorel, « Le rôle du droit international dans le développement du pluralisme (et vice versa) : une liaison moins naturelle qu’il n’y paraît », in L. Fontaine, dir., Droit et pluralisme, op. cit., p. 97. V. H. Batiffol, « Problèmes de frontières : droit et politique », Arch. phil. droit, t. 16, 1971, p. 1 s. ; J. Freund, « Droit et politique. Essai de définition du droit », Arch. phil. droit, t. 16, 1971, p. 15 s.
[77] J. Caillosse, « La sociologie politique du droit, le droit et les juristes », Dr. et société, n° 77, 2011, p. 187 s.
[78] J. Gaudemet, Sociologie historique du droit, Paris, Puf, coll. Doctrine juridique, 2000. Aussi est-il difficile d’expliquer le choix de publier pareil ouvrage dans une collection dénommée « doctrine juridique ».
[79] « La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres. Elle n’est jamais immédiate et pleine. […] La pensée empirique est claire, après coup, quand l’appareil des raisons a été mis au point. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit ». G. Bachelard, La formation de l’esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance objective, Paris, Vrin, 1938, p. 13.
[80] L. Israël, « Question(s) de méthode. Se saisir du droit en sociologue », Dr. et société, n° 69, 2008, p. 389.
[81] J. Carbonnier, « Gurvitch et les juristes », Dr. et société, n° 4, 1986, p. 433.
[82] V., par exemple, A. Ross, Introduction à l’empirisme juridique, trad. É. Millard, Paris-Bruxelles, LGDJ-Bruylant, coll. La pensée juridique, 2004.
[83] M. Troper, « Les contraintes juridiques dans la production des normes », in É. Serverin, A. Berthoud, dir., La production des normes entre État et société civile. Les figures de l’institution et de la norme entre État et sociétés civiles, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 28.
[84] P. Bourdieu, « Les juristes, gardiens de l’hypocrisie collective », in F. Chazel, J. Commaille, dir., Normes juridiques et régulation sociale, Paris, LGDJ, coll. Droit et société, 1991.
[85] G. Gurvitch, Éléments de sociologie juridique, Paris, Aubier, 1940, p. 4.
[86] G. Gurvitch, L’expérience juridique et la philosophie pluraliste du droit, Paris, Pedone, 1935, p. 86.
[87] J. Carbonnier, Théorie sociologique des sources du droit, Paris, Association corporative des étudiants en droit de l’Université Panthéon-Sorbonne, 1960-1961, p. 1.
[88] V. É. Serverin, « La sociologie du droit », in M. Grawitz, dir., Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 1996, p. 155.
[89] L. Duguit, L’État, le droit objectif et la loi positive, Paris, Fontemoing, 1901, p. 15.
[90] M. Hauriou, La science sociale traditionnelle, Paris, Larose, 1896.
[91] F. Gény, Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif, 2e éd., Paris, 1919.
[92] V. J.-F. Perrin, Sociologie empirique du droit, Bâle-Francfort sur le Main, Helbing-Lichtenhahn, 1997.
[93] V. B. Barraud, « L’échelle de juridicité : un outil pour mesurer le droit et fonder une théorie syncrétique (première partie : présentation) », Arch. phil. droit, t. 56, 2013, p. 365 s.
[94] G. Gurvitch, L’expérience juridique et la philosophie pluraliste du droit, op. cit., p. 16.
[95] J. Chevallier, L’État, Paris, Dalloz, coll. Connaissance du droit, 2011, p. 73.
[96] L. M. Friedman, « La sociologie du droit est-elle vraiment une science ? », Dr. et société, n° 2, 1986, p. 118.
[97] J.-L. Bergel, Théorie générale du droit, 5e éd., Paris, Dalloz, coll. Méthodes du droit, 2012, p. 193.
[98] R. Treves (cité par P. Brunet, M. van de Kerchove, « Présentation », Dr. et société, n° 75, 2010, p. 271).
[99] J. Carbonnier, Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, 8e éd., Paris, LGDJ, 1995, p. 5.
[100] J. Carbonnier, « Gurvitch et les juristes », précité, p. 433.