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Patrimonialiser les cultures urbaines - Numéros - Jeunesse et appropriation de l'espace public - Influxus
explorations - nouveaux objets - croisements des sciences

L'auteur

Claire Calogirou

Référence

Claire Calogirou, « Patrimonialiser les cultures urbaines », Influxus, [En ligne], mis en ligne le 2 septembre 2016. URL : http://www.influxus.eu/article1057.html - Consulté le 10 novembre 2024.

Patrimonialiser les cultures urbaines

Les collections skate et graffiti du musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée

par Claire Calogirou

Résumé

Le milieu urbain, support de rapports sociaux, donne lieu à des regards et le point de vue divergents de la part des usagers sur leur environnement, exprimant que ville peut se vivre différemment. Les collections sur les cultures urbaines que j’ai constituées au MuCEM sont au cœur de ces questions de société. Un ensemble d’œuvres, objets quotidiens et documents, a été rassemblé au cours des entretiens avec les acteurs de ces cultures pour montrer l’histoire et les modes de vie qui les caractérisent.

Abstract

Urban environment, support of social relationships, leads to opinion and conflicting views from users on their own environment, expressing that the city can be lived differently. Urban cultures collections I have gathered in MuCEM lies at the core of these society questions. A set of artworks, everyday objects and documents has been gathered all along meetings with the actors of these cultures to show/illustrate the history and the lifestyles which characterize them.

Les orientations du programme du Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée prises lors de sa transformation [1] ont renforcé un intérêt pour l’urbain et le contemporain. Le milieu urbain, support de rapports sociaux qui s’exercent dans la ville et opposent des usagers de la ville dont le regard et le point de vue sur leur environnement urbain divergent, exprime que ville peut se vivre différemment. Lieu multiculturel tant au point de vue des pratiques que des interrelations sociales et ethniques, il pose des questions d’urbanisation, de type d’habitats, d’écologie, mais aussi de partage et d’appropriation, de négociations et de conflits des espaces publics.
Les sujets sur lesquels j’ai consacré toutes mes activités scientifiques sont au cœur des questions de société qui concernent le musée : le skateboard et le graffiti.

Graffiti et skateboard : sujets de société…

Ces deux sujets représentent un rapport à l’espace urbain. Ils offrent des points de vue qui se télescopent entre esthétiques et dégradations…
Les activistes du skateboard comme du graffiti continuent de se répandre dans les villes en dépit des interdictions réinventant les rues, instaurant une expression esthétique urbaine populaire.
Ils constituent également un ensemble d’objets quotidiens du point de vue du graffeur et skateur parce qu’au cœur de leur vie et de leurs sociabilités. Ainsi modes de vie et objets ont été privilégiés dans ces recherches et collectes :

  • La vie quotidienne : techniques, outils, vêtements…
  • Le rapport à l’interdit donc aussi le versant des institutions, dont les attitudes peuvent être tout aussi paradoxales que celles des graffeurs et skateurs, entre rejet et quête de légitimation.
  • L’engagement dans un mode de vie qui englobe pour beaucoup d’entre eux leur vie quotidienne, mettant en exergue les valeurs du mouvement et de l’importance de la transmission.
    Pour résumer les thématiques qui s’entrecroisent ici, je rappellerais que nous touchons à des questions liées aux minorités culturelles, aux notions de création, de cultures populaires/cultures légitimes, d’espace public en regard de ce type de pratiques qui se revendiquent de la rue et qui se mobilisent avec des groupes fondés dans un mode de vie à partir d’un engagement passionnel [2]. Par delà ces caractéristiques, il s’agit d’une réflexion sur la ville et ses manières de l’habiter et de la rêver.

Collection : la méthode, les campagnes de recherche et de collecte

C’est en tant qu’ethnologue que je me suis intéressée au skateboard et au graffiti. Il ne s’agissait nullement de se pencher sur des « tribus » urbaines mais sur des types de pratiques dans la ville qui place le corps au centre des rencontres. Les enquêtes ont mis en évidence le rapport à l’environnement et aux éléments, la notion de distinction, la quête de plaisir, et surtout celle de liberté, leur essence ; en somme une philosophie de la vie.
Alors que l’ethnologie par ses méthodes paraisse la plus appropriée pour saisir et analyser ces phénomènes est certain, mais la multiplicité des facettes du skateboard comme du graffiti nécessiterait d’élargir au-delà de notre discipline car, malgré tout, bien des aspects ne demeurent qu’effleurés comme en particulier, la technologie de l’objet et des matériaux ou la technique du mouvement.

Les campagnes de recherche liant des collectes, ont débuté pour le skate en France au milieu des années 90 puis pour le graffiti et le hip-hop en Europe à la fin des années 90 [France, Grande Bretagne (Londres), Allemagne (Berlin, Hambourg), Belgique (Bruxelles, Liège), Suède (Stockholm), Espagne (Alicante, Barcelone, Madrid), Grèce (Athènes)].
Les deux collections sont constituées de pièces négociées très majoritairement auprès des acteurs et d’entreprises. La démarche de recherche, dont les motifs sont liés à la pratique ethnographique elle-même, a permis de privilégier de manière quasi exclusive la relation aux activistes et spécifiquement aux pionniers de ces mouvements.

La démarche ethnologique

Les collectes, appuyées par une démarche de recherche ethnologique, s’est documentée par le recueil de récits et d’informations, mais aussi par les films et photographies. Simultanément, c’est par la rencontre avec les protagonistes du mouvement que la collecte s’est réalisée. Le temps d’approche fut assez long pour gagner confiance et légitimité dans un milieu plutôt complexe. L’histoire du graffiti en Europe a été approchée à travers les propos d’une soixantaine de graffeurs européens recueillis au cours de la recherche, leur histoire personnelle, les motivations de leurs activités illégales et légales, leur rapport à l’environnement, le développement de leur activité et autant pour le skateboard en France.

Le "terrain" : durée, participation aux évènements

La durée des terrains d’enquête a été un atout pour la constitution d’un réseau facilitant les avancées du travail, surtout pour sa dimension européenne.
La participation à des évènements a représenté un élément important de la recherche. Les festivals, les fêtes, les vernissages, les compétitions sont autant de moment de rencontres nouvelles et d’échanges confirmant les contacts. Le travail effectué par ailleurs sur le hip-hop et le djaying permet de croiser personnes et réseaux et par conséquent d’enrichir les informations.

Les liens avec le milieu

La démarche, sa durée, l’engagement du chercheur ont permis d’être acceptée et de faire connaître l’intérêt du musée pour le graffiti, le hip-hop et le skateboard. Des collaborations avec la presse spécialisée étaient régulières, des accueils de réunions ont eu lieu à plusieurs reprises.

Les travaux menés depuis ces nombreuses années ont construit les liens permanents avec le milieu des skateurs et graffeurs. Ces années ont permis de réaliser la dynamique de dons et d’achat.

Questions autour des collections

Comment rendre au musée au moyen d’objets, des activités immatérielles et éphémères ; activités qui dégradent, vandalisme incompréhensible pour une grande partie des gens et qui néanmoins commencent à être tolérées sous certaines formes….
Il est impossible de citer ici de manière exhaustive des objets très divers, mais il parait nécessaire de donner malgré tout quelques indications.
S’est posé le choix de quoi collecter et conserver.
La photographie et le film sont des possibilités relativement simples, ce sont d’ailleurs les moyens utilisés par les graffeurs et les skateurs eux-mêmes qui se constituent ainsi leur « book » et diffusent leurs œuvres sur internet.
Mais ils ne peuvent supplanter objets et œuvres :

Ensembles de la collection graffiti

Morceau du mur de Berlin, livres, magazines, vinyles, dessins, tableaux et sculptures, vêtements, jouets, ensembles urbains, bombes aérosol et embouts, vêtements…

Ensembles de la collection hip-hop

Photos new yorkaises et ensemble de vinyles des années 70, K7, VHS, CD, DVD, vêtements, platines, tables de mixage et valise de transport, casque, micros, costumes de rue et de scène, sampler, enregistreur et ordinateur, dessins, affiches, flyers…
Soit environ six cents pièces pour ces deux collections qui, par ailleurs, se croisent fréquemment.

Ensembles de la collection skateboard

Skates complets et incomplets (artisanaux, industriels, modifiés), pièces de skate (roues, trucks, freins), depuis les années 50 jusqu’à aujourd’hui, vêtements, méthodes d’apprentissage, films, affiches, photographies, divers objets autour de l’image du skate : jouets, publicité…et archives des pionniers du skate ; environ 500 objets.

Photographies (argentiques et numériques) et films d’enquêtes accompagnent et documentent ces collections.

Il s’agit de collections anthropologiques, de dimension européenne, dont l’objectif est de montrer un mouvement culturel dans son histoire et son évolution. Mouvements très contemporains, qui vivent des évolutions au fil des années, voire de profonds changements ; ce qui renforce de fait tout leur intérêt. Un certain nombre de questions liées à la collecte et la conservation sont discutées en amont au sein des commissions d’acquisition.

  • Sur un plan technique, concernant des pièces de mobilier urbain et mobilisant des moyens nécessaires pour le prélèvement et le transport.
  • La conservation des objets se pose de façon aigue, en raison de matériaux peu stabilisés, comme des matières caoutchoutées des années 70, ou les œuvres à l’aerosol [3].
  • Le statut des objets illicites dérobés et tagués comme des panneaux de signalisation, des panneaux indicateurs, des vitres de métro. La question morale et juridique qui se pose pour un musée est de trancher sur le statut à donner en s’engageant dans des acquisitions de tels objets. C’est une question dont il a été débattu. Citons également une manifestation interdite dans la ville de Versailles pour la réouverture d’un skatepark, suivie de bout en bout.
  • L’image de l’institution que l’on représente ; le musée prenant le pas sur le CNRS, donc de son pouvoir de légitimation pour des activités plutôt déconsidérées. Il est arrivé maintenant d’être sollicité pour des achats ou des expositions.

Ces recherches ont été finalisées par la production d’expositions itinérantes constituées à partir de ses objets, oeuvres et documents de recherche. Elles nécessitent une réflexion approfondie sur la manière de rendre compte dans ces expositions de pratiques à l’image sociale complexe ; montrer l’objet et son histoire tout comme les modes de vie qui les constituent ; les liens entre différents acteurs sportifs, culturels et artistiques. Les représentations sociales et les dynamiques qui les traversent.

Ces collections sont toujours en cours ; elles restent ouvertes à tout complément [4].

L’exposition - Skate story - 1996- 2001 (coll. M.Cipriani, M.Touché)

1996. Exposition Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le skate, MNATP/Ecomusée de St-Quentin-en-Yvelines. Ecomusée de St-Quentin-en-Yvelines : 2 octobre 1996-1° février 1997
1997. Exposition Skate, MNATP/Ecomusée de St-Quentin-en-Yvelines. Annecy : 6 juillet-25 août
1998. Exposition "Skater la ville", MNATP/Ecomusée de St-Quentin-en-Yvelines. Musée national des arts et traditions populaires : 1° avril-5 octobre.
1999-2001 : Exposition « Skate Story », MNATP/ Le Confort Moderne :
Poitiers : 27 mars-25 avril ; Anglet : 2-30 juillet ; Agen : 16 octobre-14 novembre ; Toulouse : 19 novembre-31 décembre : St-Germain-en-Laye :8-23 janvier ; Paris, Glissexpo : 29-31 janvier ; Montluçon, 16 février-11 mars ; Orléans, 29 avril-15 mai ; Mulhouse, 31 mai-18 juin : musée des Ducs de Wurtemberg ; musée des Beaux-Arts, Arras : 1°-15 septembre.
2006 : « Bouge la ville, 40 ans de skateboard et de musiques amplifiées », 13 octobre 2006-17 juin 2007, Palais de l’Ile- Annecy.

L’exposition – Hip-hop, art de rue, art de scène- 2001-2009

Musée des musiques populaires de Montluçon, 27 octobre 2001-24 février 2002 ; musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, Marseille, 17 juin-3 octobre 2005 ; Palais de l’Ile-Centre d’Interprétation Urbain, Annecy, 2007 ; musée départemental de Gap, 5 avril-10 juin 2007 ; hôtel de ville Carrières-sous-Poissy, 22 juin-13 juillet 2007 ; médiathèque de St-Quentin-en-Yvelines, 12 novembre 2008-5 janvier 2009.

L’exposition - Faire le mur - Nantes, lieu unique, 6 novembre 2011-8 janvier 2012

La vie des objets ne s’arrêtent pas…des emprunts ponctuels ont lieu, des projets d’exposition sont en cours….


[1Le Musée National des Arts et Traditions Populaires a entrepris la réécriture de son programme scientifique au début des années 2000, étendant les champs d’investigation à l’urbain, au contemporain et au domaine européen. Nous étions déjà quelques membres de l’équipe scientifique qui avions orienté nos travaux dans ces voies. Un nom nouveau ainsi qu’une nouvelle implantation ont alors été décidés.

[2Claire Calogirou, « Musée de société : art du graff et patrimonialisation », Patrimoine, tags et graffs dans la ville, Bordeaux, CRDP Aquitaine, 2004, p.190-199 ; Claire Calogirou (dir), Une esthétique urbaine. Graffeurs d’Europe. Paris, les Editions d’Horus, 2012.

[3Un colloque organisé par le CICRP (centre interdisciplinaire de conservation et restauration du patrimoine) en juin 2012 s’est penché sur ces questions qui ne concernent pas uniquement les œuvres et objets du MuCEM.

[4De juin à octobre 2015 se déroule une campagne d’enquête et collecte en Méditerranée : Italie, Espagne, Maroc, Tunisie