Street art, graffiti et publicité : entre connivence et aversion [1]
Du 10 au 22 mai 2014 dernier, s’est tenu à Paris le Converse Clash of Walls [2]. S’inspirant de la Chuck 70, le modèle emblématique de la marque de chaussures, Alëxone et Supakitch ont repeint les murs intérieurs et extérieurs du Pavillon des Canaux. Ce projet participatif permettait aux internautes d’interagir avec les artistes : grâce au hashtagb #clashwall, ils pouvaient soumettre leurs idées aux deux peintres qui réinterprétèrent certaines d’entre elles sur les murs de l’édifice. Converse Clash of Walls fut une formidable tribune pour les artistes qui eurent l’occasion de travailler sur un support exceptionnel. Cette opération de communication semblait donc idéale : le travail des artistes était mis en avant, le public pouvait participer et la marque faisait parler d’elle de façon originale. Cette initiative nous amène à nous demander quelles sont les relations qui existent entre la publicité et le street art ou graffiti. En effet, la publicité est une notion qui a évolué au cours du temps et qui a su s’adapter à son époque. Parallèlement à son développement, le street art et le graffiti ont émergé et sont parvenus à se faire aimer de la bourgeoisie. La publicité s’est donc emparée du phénomène quitte à se réapproprier les codes et l’esthétique des deux disciplines. Si on assiste à de nombreuses collaborations entre marques et street artistes ou graffeurs, on constate qu’une résistance s’est mise en place dans la rue pour que l’espace public redevienne un lieu de liberté d’expression et d’échange.
Cet article qui se veut non exhaustif, apportera certains éléments de réponse au travers d’exemples significatifs.
Espace public, publicité et street art
De nos jours, l’espace public [3] urbain perd de plus en plus cet aspect social et politique qui en faisait un lieu de vie et d’échange. Ce n’est plus qu’une...
Scène 1. Il est 15 heures passé de quelques minutes ce mardi de septembre 2006 lorsque Julien, skateur confirmé, est interpellé par la police municipale de Montpellier alors qu’il s’essaie à quelques figures acrobatiques sur un de ses spots favoris, la Place Albert 1er. Cela faisait une demi-heure environ qu’il traversait le parvis de l’église à vitesse coulée, sautant les quelques marches précédant les rails du tramway, glissant sur la wax qu’il avait préalablement déposé sur le bord empierré d’un massif arbustif pour concomitamment le rendre plus « glissable » et le protéger des chocs de sa planche, évitant soigneusement les trottoirs opposés où quelques commerçants bien identifiés se plaisaient à se plaindre du bruit inhérent à la roule urbaine et du stress généré sur leur clientèle respective. Ils ne lui ont laissé aucune chance de fuite ou d’échappatoire dans une des artères adjacentes et l’ont « pincé les doigts dans le sac », ou plus exactement les pieds sur la planche. Il tente bien une négociation, plaidant un comportement responsable, évitant les sorties d’école, les heures d’office ou les jours d’influence dans les comportements d’achalandage, slalomant « au large » entre les très rares passants… Rien n’y fait. En application d’un arrêté municipal interdisant la pratique en dehors des espaces qui lui sont expressément dévolus, la double sanction tombe : procès-verbal de première catégorie qui le renvoie à une appartenance à un groupe social délinquant au même titre qu’un vulgaire contrevenant routier, confiscation de l’objet du délit – pour l’anecdote un matériel plutôt en fin de vie mais précieux au regard d’un coût assez prohibitif même pour un jeune issu de classes moyennes intellectuelles supérieures. Julien repart, furieux, en direction de son domicile, lançant une rafale de SMS pour prévenir les membres de la communauté qu’il connait de cette nouvelle...
De nouveaux usages ludiques et sportifs ont (re)introduit une conception nouvelle, ou plutôt oubliée, de l’espace public, bousculant les habitudes et interdits. Le Parkour, flashmob, danses de rue, skateboard, roller, bmx, basket de rue, musiciens de rue, graffiti/street art, base jumping urbain, golf urbain...ces pratiques représentent une remise en cause d’usages établis jusqu’à lors. Vécues comme gênantes, et génératrices d’insécurité, elles contrarient l’ordre établi dans l’espace public et alimentent des débats publics. Toutefois il faut signaler que le regard envers ces pratiques s’est progressivement modifié.
Il s’avère utile de préciser la définition de l’espace public. Thierry Paquot établit une différence entre – espace public- et – espaces publics- . Pour lui, l’espace public au singulier évoque le lieu du débat public, de la « pratique publique, pratique démocratique » qu’il différencie des espaces publics, lieux de circulation des habitants (rues, places, jardins…) (Paquot, 2006). Pour ma part, espace ou espaces, il s’agit de communication. L’usage qui est fait des espaces publics peut être considéré comme politique dans la mesure où cet usage provoque des rencontres entre les différentes manières d’être dans la rue…
Plusieurs articles évoquent ce point de vue.
La visibilité et la sonorité provocatrices de ces pratiques correspondent à l’esprit d’une partie de la jeunesse [56] par leur caractère distinctif. En produisant dans la rue des spectacles de toutes sortes, elles transforment celle-ci en lieu de vie sensible. Ces pratiques mettent en scène le rapport des individus à leur environnement. Elles affirment, par leurs manières inhabituelles, minoritaires et jugées la plupart du temps dérangeantes, une manière de vivre l’espace public différemment.
En s’appropriant des lieux pour s’entraîner, pour s’amuser, se retrouver entre soi, défier soi-même et les autres,...